La Belgique approuve sa règle d’or budgétaire [décryptage]

1194759880208La Belgique a [enfin] ratifié le Pacte budgétaire. Si je dis « enfin », cela ne signifie en aucune manière que je ressentais là une quelconque impatience. Reste que, depuis la signature dudit Traité par les chefs d’Etat le 2 mars 2012, le Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles clôture quand même plus de 20 mois de débat national !
La Belgique est ainsi le dernier Etat partie au Traité à le ratifier.

Avec ce vote positif, le Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles est la septième assemblée du pays à ratifier le TSCG, après le feu vert donné l’an dernier déjà par le Parlement flamand, suivi cette année par le parlement germanophone, le Sénat et la Chambre. Les Parlements bruxellois et wallon l’ont ratifié vendredi après-midi.

Ainsi, devant tant de difficultés, j’étais curieuse de connaitre la forme de la règle d’or budgétaire adoptée. Car, en parallèle de la ratification du Pacte budgétaire (TSCG), il restait également à introduire dans le droit belge la règle d’équilibre budgétaire rendue obligatoire par l’article 3 du TSCG.
Un texte sur lequel, à ma connaissance, la presse s’est peu penchée alors qu’il comporte les dispositions les plus importantes de ce nouveau mécanisme budgétaire.

Les lecteurs noteront que je ne suis absolument pas spécialiste du droit public belge et donc parfaitement incapable d’évaluer son caractère suffisamment contraignant ni de mettre en perspective cette nouvelle législation avec les mécanismes budgétaires déjà en place dans les différentes Communautés, Régions ainsi que dans l’Etat fédéral.
Cet article cherchera surtout à éclairer les lecteurs sur la nouvelle règle budgétaire approuvée et à la comparer avec les obligations comptables déjà inscrites dans le droit européen.

Une procédure pour déficit excessif

Le 2 décembre 2009, lors d’une session du Conseil « Affaires économiques et financières », le Conseil de l’Union européenne engageait une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la Belgique.

En janvier 2010, la Belgique a transmis un programme de stabilité qui prévoyait, d’une part, la fin de la situation de déficit excessif en 2012 et, d’autre part, l’équilibre des finances publiques en 2015. Ce sont là des engagements budgétaires qui sont toujours d’actualité.

Lors du Conseil européen de juillet 2010, les chefs d’État et de gouvernement ont estimé que la Belgique avait agi conformément aux recommandations.
Pour autant, aucune décision n’a jamais été prise pour abroger la décision engageant la procédure pour déficit excessif.

En avril 2011, le pays remettait aux institutions européennes son Programme national de réforme ainsi que son programme de stabilité (2011-2014).
Jugeant l’effort budgétaire insuffisant pour réduire le déficit excessif et atteindre l’équilibre en 2012, le Conseil a adopté des recommandations le 12 juillet 2011 rappelant l’engagement de mettre fin au déficit excessif dès 2012.

Or, lors de la présentation du budget national, à la mi-octobre 2011 – l’objectif du gouvernement était de ramener le déficit sous la barre des 3% en 2013.
En novembre 2011, puis en janvier 2012, la Commission européenne demandait au gouvernement belge de bien vouloir revoir son projet de budget afin d’économiser entre 1 et 2 milliards d’euros. Le gouvernement belge s’était alors aligné.
En juillet 2012, le Conseil des ministres des finances jugeait satisfaisants les objectifs budgétaires belges.

La Belgique pressée par ses partenaires européens

Cette année, en revanche, le Conseil a exprimé des doutes quant à la capacité de la Belgique de respecter ses engagements budgétaires.
Le 21 juin 2013, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision mettant la Belgique en demeure de prendre des mesures pour procéder à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif.

Surtout, les ministres européens appelaient à la Belgique à soumettre un rapport le 31 décembre 2013 au plus tard sur « l’adoption de dispositifs explicites de coordination visant à faire en sorte que les objectifs budgétaires soient contraignants au niveau fédéral et au niveau des entités fédérées« . En juillet, les ministres confirmaient à nouveau leur demande de « l’adoption rapide d’une règle, conforme aux dispositions du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, imposant que la situation budgétaire des administrations publiques soit en équilibre ou en excédent« .

L’adoption de la règle d’or budgétaire était d’autant plus pressée que le TSCG prévoyait que les dispositions « prennent effet dans le droit national des parties contractantes au plus tard un an après l’entrée en vigueur du présent Traité« .
Le Traité, ratifié par au moins 12 Etats membres de la zone euro, a pu entrer en vigueur le 1er janvier 2013.
La règle d’or doit donc être applicable à compter du 1er janvier 2014.

La règle d’or budgétaire

Les obligations posées par le TSCG

L’article 3 du TSCG fixe les principales dispositions ayant trait à la discipline budgétaire.

  1. il pose le principe de l’équilibre ou de l’excédent des budgets des administrations publiques,
  2. la limite du déficit structurel autorisé est portée de 1% à 0,5%. Il s’agit du déficit corrigé des variations conjoncturelles (à ne pas confondre donc avec le déficit nominal).
    Deux exceptions à la règle sont posées:
    * les circonstances exceptionnelles sur lesquelles le gouvernement n’a pas de prise,
    * les Etats dont la dette publique est inférieure à 60% du PIB peuvent continuer à avoir un déficit structurel de 1%.
    Cet objectif de déficit structurel est appelé Objectif à Moyen Terme (OMT).
  3. il enjoint les Etats à mettre en place un mécanisme de correction automatique en cas d’écart avec ces objectifs.

Ce sont tous ces éléments précités qui doivent être introduits dans la législation nationale sous forme de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles. C’est ce qu’on appelle la fameuse règle d’or budgétaire.

Par ailleurs, les Etats sont également appelés à mettre en place une institution indépendante chargée de contrôler le respect de ces règles.

Enfin, le TSCG prévoit (sans toutefois l’inclure dans la règle d’or) que les Etats doivent réduire au rythme d’un vingtième par an leur dette publique supérieure à 60 % du PIB.

L’accord de coopération belge

Conformément à l’avis du Conseil d’Etat (avis n° 51.725/VR), il a été convenu que les différents niveaux de pouvoirs formant la Belgique fédérale concluent un accord de coopération (1) afin de mettre en oeuvre ces dispositions.

Le choix d’un accord de coopération est apparu comme le plus pertinent pour transposer la règle d’or et aussi éviter un mécanisme beaucoup plus lourd et rigide qui est celui de la loi spéciale.
M. Demotte, Ministre-Président du Gouvernement wallon

Cet accord de coopération comporte six articles tels que présentés ci-après:

Article 1
C’est un article de définition. Ils rappellent que les définitions en matière de stabilité sont conformes aux dispositions établies dans le cadre des Traités européens.

Article 2
Est posé le principe de l’équilibre ou de l’excédent des budgets des administrations publiques.
Celui-ci est considéré comme respecté si le solde structurel respecte l’Objectif à moyen terme. L’article ne fait que reprendre les dispositions exactes du TSCG.
Il est ensuite indiqué que « La fixation en termes nominaux et structurels des objectifs budgétaires individuels des parties contractantes et des pouvoirs locaux devra être approuvée par une décision du Comité de concertation« . Il est prévu que « les parties contractantes [Etat, Communautés et Régions] s’engagent à faire un effort maximal pour aboutir à un consensus« .
Néanmoins, compte tenu de la possibilité des sanctions pesant sur le gouvernement fédéral en cas de retard, le gouvernement fédéral ne pourra pas être tenu à l’obligation d’aboutir à un accord avec les parties contractantes préalablement à la transmission des projets budgétaires à la Commission.

Article 3
Chaque partie s’engage à ce que les pouvoirs locaux sous « leur responsabilité » respectent les objectifs budgétaires.

Article 4
Cet article fixe le fameux mécanisme de correction automatique.
Il est prévu que le respect des règles budgétaires soit contrôlé par la Section Besoins de financement des pouvoirs publics du Conseil supérieur des Finances.
Si un écart budgétaire important est constaté, la Belgique est « tenue de justifier cet écart et de prendre des mesures immédiates de correction« . Celles-ci  « doivent permettre de remédier à l’écart dans un délai de 18 mois, sauf si la réalité économique ou institutionnelle justifie une période plus longue » selon l’avis du Conseil supérieur des finances. Cependant, ledit délai ne pourra pas « être en contradiction avec un éventuel délai fixé par l’Union européenne ».
Le Conseil supérieur des finances propose les mesures de correction et vérifie leur mise en oeuvre.

Article 5
En cas d’amende infligée par le Conseil européen pour non respect des engagements pris, cette dernière sera répartie entre les parties contractantes au prorata des manquements identifiés par la Conseil supérieur des finances.

Article 6
L’accord de coopération est conclu pour une durée indéterminée et entrera en vigueur le 1er janvier 2014. Il est approuvé par chacun des Parlements belges.

Il faudra a cet égard vérifier que les sept Parlements belges ont bien donné leur accord sur cet accord de coopération avant le 1er janvier 2014.

Quoi de nouveau ?

La plupart des règles budgétaires évoquées ci-dessus sont déjà inscrites dans le droit européen (on parle du « droit dérivé »: les règlements).

L’obligation de réduire d’un vingtième par an la dette supérieure à 60% du PIB est déjà prescrite par l’article 2 du règlement n°1467/97.

Cette disposition a été introduite, dans l’indifférence générale, par le règlement n°1177/2011 du 8 novembre 2011 (réforme dite du « Six-Pack »).

Quant au déficit structurel, plafonné à 0,5% du PIB par le Pacte, il est déjà limité à 1% du PIB par les Traités européens.

En outre, la réforme du « Six-Pack » a mis en place un « Objectif [budgétaire] à moyen terme » (OMT) défini par la Commission européenne pour chaque Etat.
Dans son dernier programme de stabilité, la stratégie budgétaire belge est d’arriver à un budget équilibré en termes structurels en 2015 au plus tard et d’atteindre l’OMT l’année suivante. L’OMT est modifié dans le programme: il passe d’un excédent de 0,5 % du PIB à un excédent de 0,75 %.

En d’autres termes, le Pacte budgétaire n’implique pas de mesures budgétaires plus contraignantes pour la Belgique que celles déjà en vigueur au titre du Pacte de stabilité et de croissance.

Le mécanisme de correction automatique et le Conseil budgétaire indépendant sont en réalité les deux seules innovations introduites par ce Traité.
Cependant, un règlement européen entré en vigueur en mai dernier y fait désormais explicitement référence (on parle du « Two-Pack« ).
L’article 5 du règlement n°473/2013 du 21 mai 2013 prévoit l’obligation de mettre en place un conseil budgétaire « indépendant » chargé de surveiller la mise en œuvre de l’OMT. Celui-ci doit produire des évaluations publiques relatives à l’activation du « mécanisme de correction ».
Autrement dit, même sans ratification du Pacte budgétaire (TSCG), la Belgique restait de toute façon soumise à l’application de ce règlement.

D’ailleurs, en novembre 2013, la Section Besoins de financement des pouvoirs publics du Conseil supérieur des Finances a rendu un avis sur les moyens d’atteindre l’OMT.
Les plus attentifs auront noté que la Section réclamait également de nouvelles dispositions juridiques découlant du Two-Pack:

Enfin, la Section indique qu’il convient de prendre en compte l’entrée en vigueur des nouveaux règlements européens en matière de surveillance budgétaire. Au niveau des prescriptions de ces règlements, la Section demande qu’une attention particulière soit accordée au renforcement du rôle des instances nationales indépendantes en matière de contrôle du respect des règles budgétaires nationales.

A quoi donc sert le Pacte budgétaire ?

« Comptablement » parlant, le Pacte budgétaire ne sert à rien.

C’est « politiquement » que le Pacte budgétaire revêt tout son sens.

En effet, l’intérêt de la règle d’or est de modifier le niveau juridique applicable.

Désormais les règles comptables ne seront plus uniquement inscrites dans les Traités européens mais directement dans le droit national des Etats ratifiant le Pacte.

L’intérêt du Pacte budgétaire est d’abord et surtout d’obtenir l’aval politique direct des parlementaires nationaux sur des dispositions budgétaires précises. En d’autres termes, de rappeler à la mémoire des députés et sénateurs les obligations que leur Etat s’est engagé à respecter en ratifiant le Traité de Maastricht.

Réaliste parce que face aux décisions européennes, les principes et les dispositions de contrôle des budgets s’appliquent déjà à la Belgique depuis le 13 décembre 2011. Il faut vraiment, à chaque fois, rappeler les chronologies. Au niveau européen, c’est fondamental. Nous avons déjà le «Six-Pack» et, depuis le 27 mai 2013, le «Two-Pack» – des appellations que nous mettrons dans nos mémoires.
La confirmation que la Belgique est déjà dans un régime contraignant, nous l’avons expérimenté – malheureusement – le 29 mai dernier, si on avait encore le moindre doute. Il faut être très clair : il n’y a pas de nouvelle règle budgétaire introduite par ce traité. Je rappelle qu’on nous a demandé, il y a plusieurs années, de rentrer dans ce fameux dispositif des 3 %. On nous a également déjà demandé, en 1992 et 1997, de travailler sur des budgets en équilibre. Il faut y aller en sachant, avec lucidité, ce que l’on fait.
Ne pas voter le TSGC est une alternative qui nous est souvent présentée. Cela permettrait-il d’atténuer la contrainte budgétaire? Notre groupe ne le croit pas. La seule nouveauté, c’est qu’on modifie le niveau juridique applicable.
Madame Zrihen (Parti socialiste)

(1) Accord de coopération du 13 décembre 2013 entre l’Etat fédéral, les Communautés, les Régions et les Commissions communautaires relatif à la mise en oeuvre de l’article 3, § 1er, du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

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