Jean-Luc Bennahmias « l’euro-sarcastique » (Entretien)

Jean-Luc Bennahmias a été élu député européen en 2004 sous l’étiquette des Verts.
En 2007, il rejoint le Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou pour en devenir vice-président.
Il effectue actuellement son deuxième mandat au Parlement européen au sein du groupe ALDE(Libéraux et Démocrates) qui rassemble les eurodéputés français issus du MODEM.

Je retranscris ici le verbatim d’un entretien du 6 février 2012.

Différents sujets sont évoqués notamment la réforme de la gouvernance économique, la crise grecque, le déficit démocratique de l’Union européenne.

Je remercie M. Bennahmias pour le temps qu’il m’a accordée ainsi que pour son franc parlé.

Monsieur Bennahmias, pouvez-vous résumer aux lecteurs les principales mesures relatives à la gouvernance économique européenne adoptées ces derniers mois (Six PackPacte budgétaireMécanisme européen de stabilité)?

Les principales mesures? Il n’y en pas.

Le parlement européen, puisque que cela entre dans ses prérogatives, s’est emparé de la gouvernance économique et budgétaire – ce qui rentre depuis le Traité de Lisbonne totalement dans ses prérogatives.

Un des premiers problèmes, que j’ai perçu dès le départ, qui m’a paru très répugnant, c’est qu’il n’y ait eu aucune écoute du Conseil européen par rapport à ce que l’on faisait. Parfois un peu de liaison certes avec la Commission (allers et retours normaux entre la Commission et les Commissions parlementaires).

Quand nous lisions le Six Pack, le Parlement européen était soit très en avance, soit très très en retard. Cela explique le manque de structure du texte.

Quand vous parlez d’une avance du Parlement européen, vous pensez aux eurobonds par exemple?

Oui et non. Nous pouvons dire « très en avance » pour être positifs mais les eurobonds auraient pu avoir un vrai rôle, disons au début de la crise. Désormais, nous sommes complètement hors-tempo.

Et même lorsque l’on prend cette répartition en six parties pour que tout le monde soit content, pour que chaque groupe politique y retrouve ses petits. C’est démocratiquement sympathique mais cela relève de l’illusion. Ce n’est pas viable.

Vous l’avez bien vu lors de mes votes.

Pourquoi ai-je voté un paquet et pas les cinq autres? C’est que, Sylvie Goulard étant dans une grande proximité dans le mouvement démocrate avec moi, je vote ce texte parce que c’est elle même si je pense que cette partie du Six pack  était certainement la plus utopique.

Ne pas, dans un Pack comme celui là, envisager que nous ne sommes pas uniquement dans une logique de remboursement de dette, mais que l’on est également sur des budgets de plan de relance (ce que nous n’avons pas eu le temps de finaliser lorsque Jacques Delors était président de la Commission européenne) n’est pas une bonne solution.

Il faut à la fois, faire attention aux dettes de fonctionnement, aux dettes publiques des différents États, mais également que l’Union européenne prenne le taureau par les cornes et réserve une part de l’augmentation du budget européen au financement d’une politique énergétique commune, maritime, transport ferroviaire, recherche et développement.

On le voit aujourd’hui avec la Grèce. Comment peut-on demander à un peuple de subir x plans de rigueur successifs ou la seule contrepartie demandée est de réduire leur revenu? C’est folie. Le peuple grec est très sage même si nous voyons des images un peu violentes à la télé, il est très sage.

Cela pourrait être pire. Cela va être le cas en Espagne, au Portugal, en Italie et en France. La seule réponse du Conseil c’est l’austérité, l’austérité, l’austérité, sans songer à un seul instant à l’équité (je ne parle même pas d’égalité) dans les efforts demandés.

Tout le monde sait bien que ne pas demander aux armateurs et à l’église orthodoxe grecque de payer une partie de la dette publique est absolument incompréhensible par les populations.

Quel rôle peut jouer le Parlement européen dans la construction d’une nouvelle gouvernance économique?

Le Parlement européen a voté plusieurs résolutions relatives à la relance économique.

Une nouvelle résolution va être discutée, je ne sais pas si je la voterais car, à chaque fois, le Parlement passe des compromis avec la Commission, des compromis en baisse, qui ne sont de toute façon même pas écoutés par le Conseil, tout ça va dans le mur.

Je ne nie pas que le Parlement joue son rôle. Il faudrait que les deux autres entités, Commission et Conseil, joue autant leur rôle que le fait le Parlement. Ce n’est pas le cas.

En gros, pour faire simple, le Conseil se fout complètement du Traité de Lisbonne. Ils s’en foutent tellement que la France et l’Allemagne sont déjà en train de négocier un nouveau Traité? C’est une aberration, ce nouveau Traité ne verra jamais le jour.

[Nous parlons ici du Pacte budgétaire]

Vous pensez qu’il ne sera pas ratifié par les États?

Je pense qu’il y aura tellement de nouveaux évènements qui arriveront entre-temps, avant que tout ça soit ratifié, que les éléments qu’on a aujourd’hui entre les mains n’auront, à mon avis, plus grand chose à voir.

Explosion populaire, Grèce toujours en difficulté après le énième Conseil européen: les peuples en sont à un niveau d’incompréhension totale vis à vis des institutions européennes.

Et encore une fois on n’est toujours sur une seule chose, sur le rôle des Banques centrales.

Comment expliquez-vous cet autisme de la part de la Commission et du Conseil?

Je l’explique très facilement. Par le prisme, qui existe depuis trente ans au niveau de l’Union européenne, où tout est basé sur la concurrence libre et non faussée. Ces termes sont devenus totalement impropres. La concurrence libre et non faussée est totalement infaisable.

Telles que sont les conception de l’Union européenne depuis maintenant 30 ou 40 ans sur l’ouverture des marchés à tout va, la circulation des marchandises, la circulation des capitaux sans aucun contrôle, il ne peut y avoir qu’une concurrence non-libre et faussée.

Je ne sais pas comment on pourrait arriver à réguler ce système économique ultra libéral, anglo-saxon, accepté par l’ensemble des pays, droite et gauche mélangées depuis plus de trente ans.

La seule solution pour moi, est de retourner à une nouvelle base, que l’on trouvait dans le projet de constitution: comment mettre en place une économie sociale de marché? Des possibilités d’investissement, de relance, d’équité dans les modes de redistribution.

Penser que plus l’on met de concurrence, plus les usagers peuvent choisir leur prix, est totalement faux. L’ouverture des télécoms, des transports, de la poste, a conduit au contraire: une augmentation des coûts, des délocalisations à la clef, et une baisse du niveau de l’emploi des pays européens.

C’est cette vision qui explique votre vote en contradiction avec votre groupe politique?

Soyons clair: je suis dans ce groupe parce que le mouvement démocrate est dans ce groupe. Je suis dans ce groupe et j’accepte d’y rester parce que Monsieur Guy Verhofstadt en est le président. Il y aurait un autre président, je ne serai plus dans ce groupe.

Que seriez-vous? Indépendant?

Aujourd’hui, j’adhérerais aux Socialistes & Démocrates.

Les démocrates européens sont en effet présent dans deux groupes: les Libéraux et Démocrates (ALDE) et les Socialistes et Démocrates (S&D).

J’accepte d’y rester parce que je suis solidaire de mes petits camarades du mouvement démocrate.

Par rapport au social, objet de la Commission dans laquelle je suis, je suis souvent plus proche des votes des socialistes, des verts et du PPE. Quand je vote pareil que mon groupe, c’est vraiment par hasard.

Le pire des groupes démocratiques fondant l’assemblée européenne c’est bien l’ALDE. Une partie du groupe en est encore à nier qu’il y ait une crise financière, crise économique, crise sociale.

Or l’existence de ces crises supposent des réactions différentes de celles d’il y a dix ans. Il faut des politiques de régulation, de redistribution, de maitrise des couts mais aussi de relance permettant aux citoyens d’avoir une relation avec les institutions européennes qui soit autre que « l’Europe nous emmerde ».

Si aujourd’hui nous faisions des référendums, il n’y a aucune chance que le oui l’emporte. C’est pourquoi je ne crois pas à la ratification du nouveau Traité.

Alors je sais bien que sur les autres référendums, les peuples ont voté non, on s’en est balancé et on a continué comme si il ne se passait rien, et bien on le paie aujourd’hui extrêmement cher. On le paiera encore plus cher si on continue à faire des référendums et qu’ensuite on dit aux gens « Vous avez voté, on s’en fout ».

Faut-il un gouvernement économique de la zone euro?

Est-ce que ce qui a été mis en place par le Six-Pack (rôle renforcée de la Commission, majorité inversée) constitue selon vous une première étape?

Est-ce tout cela vous pourrait compatible avec la démocratie nationale?

Je pense qu’il faut tout remettre à plat.

Je ne dis que dans le Six-Pack, il n’y a que des mauvaises propositions, ce n’est pas vrai.

Mais le fait de dire à la Commission « C’est vous qui allez contrôler le budget », c’est une aberration. Tout ça se discute avec les parlements nationaux, avec le Parlement européen.

Je pense qu’il faudrait à un moment ou à un autre, je ne sais pas si ça se fera, que les délégués des parlements nationaux et du Parlement européens travaillent ensemble, reviennent sur le Six-Pack en faisant le point sur le rôle de la Commission et sur le Traité de Merkel et de Sarkozy, pour voir ce qui est possible ou pas, ce qu’il faut retirer ou ajouter.

Mais le coté contrôle budgétaire complet par la Commission de ce que font les États est une aberration. Les peuples diront que ce n’est pas possible. Qui dirige? Qui gouverne? Qui a élu ces gens? Qui a nommé ces gens?

Quand je vois, de l’extérieur, les exemples belge ou hongrois qui se sont fait taper sur les doigts au niveau de leur budget, j’ai moi l’impression que les populations ne disposent pas de cette information. Toujours les peuples s’en remettent à leur propres dirigeants sans reporter la faute sur les institutions européennes.

Le problème de la Hongrie n’est pas un problème de budget. C’est un problème de démocratie.

Le problème budgétaire est anecdotique.

Face au problème de la Hongrie, la réponse de l’Union européenne est absolument scandaleuse.

On a un mec qui s’appelle Orban, qui se prend pour Mussolini, et je pèse mes mots. C’est un dictateur en herbe. Et qu’est-ce qu’on fait? On ne lui dit rien à part « doucement », « fait gaffe à la banque centrale hongroise ». Ce n’est pas le sujet.

Le sujet central est la démocratie, c’est comment quand on est des démocrates, au sens large du terme, on reprend le dessus.

Certes, mais Orban a été élu, il est soutenu par son peuple?

Oui. Mussolini a été élu par son peuple. Hitler a été élu par son peuple. Ce ne me suffit pas de dire qu’Orban ait été élu.

Dans des cas de difficultés, d’exacerbation des passions, le national-socialisme (toute proportions gardées) l’emporte sur toute autre considération démocratique. Les peuples étant ce qu’ils sont, ils peuvent tomber dans le piège d’un populisme exacerbé, de déclaration à la con, qui font qu’on se retrouve 40 ans, 50 ans en arrière.

Quand je compare Orban à Mussolini je sais ce que je dis. Ils ont les mêmes origines politiques: ils étaient tout deux des leaders de gauche.

Je pense qu’il peut se comparer lui même à Mussolini.

Peut-être, par conséquent, qu’il considérera cela comme un compliment…

Dans ces cas là, il faudra qu’il termine comme Mussolini.

Les pouvoirs nationaux ont-ils vraiment le pouvoir de s’opposer à ce qui est décidé à l’échelle européenne? Les nations ont-elles encore un poids?

Elles pourraient en avoir un. Ce sont des parlements élus démocratiquement.

En l’espèce, concernant le Traité MES, il n’en aura pas. La logique du Parlement français est que la majorité vote et ferme sa gueule.

Théoriquement les Parlements ont tout moyen de manifester leur opposition, tant que l’on est pas dans la situation de ce pauvre Parlement grec en ce moment, qui là est pieds et mains liés.

Je ne sais même pas ce que je ferai d’ailleurs, si j’étais parlementaire grec. Je pense que je voterai non. C’est très facile de voter non dans des situations telles, d’être très vertueux, et pour autant ça ne sauve pas la situation.

Que pensez-vous de certaines revendications, en France ou ailleurs, de populations demandant à être consultées par référendum dans le cas où ce n’est pas prévu par leur Constitution?

Un tel référendum serait plus honorable que le référendum sur le chômage ou les étrangers.

Mais moi je veux bien qu’on joue! Dans ce cas là c’est clair et net, j’appelle tout de suite à voter non, je suis sur de gagner.

Encore faut-il, s’il on fait voter les gens, que l’on respecte leur vote. Qu’on ne dise pas « Vous avez voter c’est bien! Mais on va faire le truc quand même! ».

Moi je ne joue plus.

J’ai appelé à voter oui au TCE. Je pense que la Constitution était à l’époque quelque chose qui a été mal expliqué, mélangé, notamment pour le chapitre III qui rendait l’ensemble incompréhensible, contradictoire et d’une complexité impossible pour nos populations.

Mais pour le reste on s’est fait après totalement avoir. Le Traité de Lisbonne devait simplifier les procédures, il n’a fait que les augmenter. Ce Traité de Lisbonne est ainsi d’une complexité absolue. Du coup, les chefs d’État et de gouvernement s’en balancent! Ils ne reconnaissent même pas ce qu’il y a de bien dans le Traité de Lisbonne, c’est à dire les prérogatives du Parlement européen: désormais la codécision s’applique sur 90% des thématiques.

Surtout ne pas faire de référendum et s’il y avait des choses à faire pour améliorer le Traité de Lisbonne, il faudra le faire par des règlements et pas par des nouveaux Traités à la con.

Je sens de l’ironie, ou plutôt du sarcasme dans vos propos…

Évidemment!

Je suis très minoritaire au Parlement européen mais je ne comprends pas. La déconnexion avec les populations est totale.

J’aimerais que l’Union européenne, qui est une structure indispensable au niveau de l’équité mondiale, des valeurs démocratiques, joue un rôle positif (tel qu’elle l’a joué à Durban). Encore faut-il que cela soit considéré comme tel par nos populations. Or aujourd’hui ils ont l’impression d’être grugés à chaque fois.

Le débat sur l’Europe en France vous parait-il être de qualité? Pensez-vous que les élections présidentielles soient un bon tremplin pour améliorer le débat?

Non car c’est devenu incompréhensible. Il y a trop de décalage entre ce qu’est réellement l’Union européenne et ce qu’en pense les populations.

De toute façon, on paie et on paiera longtemps, la non prise en compte du vote non à la Constitution européenne.

Tant que l’on ne remettra pas tout à plat, que l’on ne dira pas « Excusez-nous, on a eu tort de vous prendre pour des cons », le débat sur l’Union européenne sera impossible.

Après, les gens sont lucides. Je pense qu’une majorité des français comprend bien que, même si l’euro c’est pas géant, il est impossible de revenir en arrière et ce, malgré le baratin sur l’augmentation des prix (c’est que les produits de première nécessité ont beaucoup augmenté).

Dans l’élection présidentielle, il est impossible, quelque soit le candidat, de parler de l’Europe vraiment, de manière solide.

Avoir un vrai discours européen, c’est impossible si on n’est pas capable – c’est le cas de Sarkozy, de Hollande, et même de Bayrou – de dire avec qui relancer l’identité européenne de manière positive: avec quelle force politique? Avec quelle majorité gouvernementale? En effet, chaque État-Nation s’est replié, l’Allemagne est priorité.

Une sortie de l’euro pour la Grèce ne serait-elle pas souhaitable?

Si l’Union européenne voulait remettre à plat la dette grecque, c’est une décision à prendre en deux jours. Il suffirait de décider de prendre en charge, ensemble, une part de la dette publique de la Grèce. C’est que dalle.

En contrepartie de mesures de disciplines budgétaires…

Mais il aurait fallu le faire dès le départ!

Mais on ne l’a pas fait. Que fait-on maintenant?

Et bien on partage les frais.

En en terme de démocratie, le fait de devoir mettre en commun nos décisions budgétaires ne pose-t-il pas un problème?

Le Traité de Maastricht définissait les règles budgétaires. Mettons le désormais correctement en application.


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