Conférence interparlementaire: les élus nationaux veulent peser dans les décisions européennes

Conférence présidents Parlements NicosieSaviez-vous que les Présidents des Parlements nationaux européens s’étaient réunis à Nicosie du 21 au 23 avril dernier?
Cette réunion, consacrée au rôle des parlementaires nationaux dans la coordination économique européenne, n’a absolument pas été commentée dans les médias français.

Les Présidents de 42 chambres des 27 États membres de l’Union européenne (ou leurs représentants), ainsi que le Président du Parlement européen ont participé à la Conférence, présidée par Monsieur Omirou, Président de la Chambre des Représentants de Chypre. Les Présidents du Parlement Croate (pays en voie d’adhésion), ainsi que de trois pays candidats – Islande, Monténégro, Macédoine – ont également pris part à la Conférence.

Pour la France, les Présidents des deux chambres (Claude Bartolone et Jean-Pierre Bel) n’ont pas fait le déplacement. Notre pays était représenté par:
– Mme Laurence DUMONT: Vice-Présidente de l’Assemblée Nationale
– M. Jean-Pierre BLOCH: Directeur du service des affaires européennes de l’Assemblée Nationale
– M. Simon SUTOUR: Président de la commission des affaires européennes du Sénat
– M. Jean-Louis HERIN: Secrétaire générale de la Présidence du Sénat
– M. Jonathan PAPILLON: Administrateur au service de la commission des affaires européennes du Sénat
– Mr Jean-Luc FLORENT: ambassadeur de France à Chypre

Cette réunion a fait suite à une première rencontre, organisée les 10 et 11 février dernier à Nicosie, entre les secrétaires généraux des Parlements nationaux et avait pour objectif de préparer une nouvelle conférence interparlementaire consacrée à l’économie et le budget.
A ce jour, seule la Conférence pour la politique étrangère et de sécurité commune et la politique de sécurité et de défense commune se réunit régulièrement.

Un mois plus tôt, le 11 janvier, les représentants des parlements des six pays fondateurs (dont Claude Bartolone) et du Parlement européen s’étaient également réunis à Luxembourg afin « d’esquisser les grandes orientations à donner [à la conférence interparlementaire] sous la forme d’un document de travail qui sera soumis aux représentants des parlements des 27 États membres de l’UE » à Nicosie.

[box]Si vous vous interrogez sur le pourquoi d’une telle effervescence au niveau de nos parlementaires nationaux, vous devrez chercher votre réponse du coté du Pacte budgétaire. En effet, ce dernier remet en lumière la possibilité de créer un conférence interparlementaire sur les questions économiques et budgétaires.
L’idée est de réunir les parlementaires nationaux et européens juste avant les Conseils stratégiques afin d’influencer leur agenda et leurs conclusions.
Cependant, la mise en place de cette nouvelle structure ne doit pas faire oublier que le véritable problème démocratique se situe à l’intérieur de chaque Etat européen. De fait, alors que les décisions du Conseil européen pèsent de plus en plus sur des compétences exclusives des Etats, les Parlements nationaux n’exercent qu’un contrôle insignifiant sur les choix de leur gouvernement respectif. [/box]

La mise en place d’une nouvelle conférence interparlementaire « Economie et budget »

Les conclusions de la réunion du 11 janvier soulignent « le rôle central des Parlements en tant que souverains budgétaires » et rappellent que « compte tenu du rôle des Parlements en termes de légitimité et de reddition des comptes, tout renforcement de la Politique économique et monétaire européenne doit s’accompagner d’un contrôle démocratique fort qui inclut les Parlements nationaux et le Parlement européen« .
Selon les parlementaires, la conférence permettra « d’aborder les questions d’actualité relatives à l’Union économique et monétaire,y compris les conventions passées dans le cadre du semestre européen, et ce faisant, elle renforcera l’échange entre les Parlements nationaux et le Parlement européen« .
Cette conférence se réunirait deux fois par an, notamment avant le Conseil européen de juin qui approuvent les recommandations sur les programmes de stabilité et de réforme. Ce calendrier permettrait aux parlementaires de donner ainsi leur avis (non contraignant) sur les recommandations de la Commission.
Ils pourraient inviter le Président de la Commission européenne, le Président du Conseil européen, le Président de l’Eurogroupe, le Président de la Banque centrale européenne, ainsi que tout Commissaire européen concerné.

Lors de la réunion des 10 et 11 février, un certain nombre de délégations ont souligné la nécessité de réaliser des progrès significatifs dès le mois d’avril et ont appelé à ce qu’une décision directement applicable soit incluse dans les conclusions qui seront adoptées.
Ils ont également suggéré que la Conférence des Présidents devrait s’appuyer sur les travaux réalisés à ce jour par plusieurs parlements nationaux.
A cet égard, on peut noter la résolution votée par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale française.

Je vous livre ici une synthèse des éléments arrêtés par les Présidents lors de la conférence d’avril:
1) « Les parlements nationaux doivent être associés de manière adéquate à l’élaboration et à la mise en œuvre du cadre pour le renforcement des réformes des politiques économiques, budgétaires et fiscales dans leurs pays, ainsi qu’à l’introduction de la dimension européenne dans les politiques nationales. »
2) « L’approfondissement de l’intégration de l’UE devrait s’accompagner du renforcement de la légitimité démocratique et de l’obligation de rendre des comptes, tant au niveau européen que national, auquel les décisions sont prises. »
3) « Il convient d’intensifier la coopération entre le Parlement européen et les parlements nationaux en s’appuyant sur l’article 13 du TSCG« . Ce cadre « offre aux parlements nationaux une occasion unique de déterminer leur rôle en matière de garantie de la responsabilité démocratique et de la légitimité de l’UE »
4) La réussite de cette coopération dépend largement de la manière dont les Parlements nationaux utiliseront les outils mis à leur disposition
5) La Conférence interparlementaire se composera de représentants de tous les Parlements nationaux des États membres de l’Union européenne et du Parlement européen, en particulier des commissions compétentes. Chaque Parlement déterminera la composition et la taille de sa délégation.
6) La Conférence se réunira deux fois par an, en coordination avec le cycle du Semestre Européen. La première réunion est prévue pour le second semestre 2013.

Une forme d’intégration des Parlements nationaux renouvelée par le Pacte budgétaire

La création d’une nouvelle conférence consacrée à la coordination économique a été inscrite dans le Pacte budgétaire (TSCG) entré en vigueur le 1er janvier dernier. L’article 13 du Traité prévoit en effet la création d’une coopération renforcée entre les Parlements nationaux des différents États membres et le Parlement européen.
En réalité, le Pacte budgétaire ne fait que réitérer une possibilité déjà prévue dans les Traités européens mais jamais approfondie.

Si le Traité de Maastricht s’était accompagné d’une déclaration relative aux Parlements nationaux et à la coopération interparlementaire, c’est le Traité d’Amsterdam qui franchit une étape supplémentaire avec un protocole consacré au « rôle des Parlements nationaux dans l’Union Européenne ».
Le Traité de Lisbonne renforce ce phénomène en faisant des Parlements nationaux des acteurs à part entière du processus de décision européen.
(Source: rapport du Sénat)

Toutefois, la reconnaissance d’un rôle collectif des Parlements nationaux à l’échelle européenne s’est pendant longtemps heurtée à la réticence du Parlement Européen, soucieux de préserver ses prérogatives et à l’idée que la fonction de chaque Parlement national est avant tout de contrôler l’activité de son gouvernement au sein du Conseil.
Désormais, le mécanisme qui semble se mettre en place donne aux eurodéputés un rôle central, ce qui explique peut-être leur soudain empressement.

Les 29 et 30 janvier dernier, le Parlement européen organisait ainsi une « semaine parlementaire » consacrée notamment à l’implication des représentants nationaux.
En relatant les propos tenus lors de ces deux journées, j’avais alors indiqué ma crainte de voir ce type de « tables-ronde » constituer une diversion laissant croire à un fonctionnement démocratique de l’Union européenne, tandis que les décisions se prennent ailleurs.

Le véritable enjeu: le contrôle effectif des décisions prises au Conseil européen

Le Conseil européen a pris une place prépondérante dans le processus décisionnel européen.
En effet, de nombreuses décisions sont actuellement prises dans l’urgence, dans le huit-clos du Conseil européen, sans aucun contrôle parlementaire. Dans un contexte de crise, les décisions prises par les chefs d’État et de gouvernement « affectent profondément la souveraineté des États membres et de leurs assemblées » car elles relèvent « du champ de compétence des parlements nationaux« .
De fait, la réunion d’une conférence interparlementaire deux fois par an ne saurait suffire à assurer la légitimité démocratique de l’Union économique et monétaire.

Pour instaurer une démocratisation des décisions européennes en matière économique il conviendrait donc de renforcer le poids des parlements nationaux, non seulement en les réunissant pour établir des conclusions communes, mais surtout en permettant un contrôle appuyé sur leur gouvernement respectif.
Or, c’est là une question qui relève d’abord de l’organisation juridique interne propre à chaque État.

Ainsi, les conclusions de la Conférence de Nicosie ne reconnaissent ce point qu’à titre accessoire. Il est indiqué que « le renforcement supplémentaire de l’UEM doit s’accompagner de la participation proportionnelle du Parlement européen et des parlements nationaux. »
Il est notamment rappelé que les parlementaires nationaux doivent être étroitement associés à la définition des programmes budgétaires de leur État.

nicosie

 Un élément sur lequel il convient de faire encore de sérieux progrès en France. Lors des récents débats parlementaires concernant le programme de stabilité 2013-2017, il est apparu que la transmission obligatoire des documents au Parlement avait été supprimée par la nouvelle majorité. Le Président du Sénat ne s’est pas par ailleurs attaché à défendre le vote de ses collègues sur ce document.

 

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]

 


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