Décryptage du manifeste pour une union politique de l’euro

drapeau-europeen-interrogatifEn ce moment, les projets et les manifestes appelant à une intégration accrue des pays européens se multiplient. Il faut les lire avec attention et les décrypter avec sérieux.
J’ai commencé hier avec la publication d’un article consacré aux propositions de l’institut Notre Europe. Je continue aujourd’hui avec le Manifeste pour une union politique de l’euro mis en ligne la semaine dernière. Les premiers signataires sont notamment Florence Autret, Daniel Cohen, Guillaume Duval, Thierry Pech, Thomas Piketty, Jean Quetremer et Pierre Rosanvallon (1).
A cette heure, le manifeste a réuni près de 1500 signatures.

La gestion de la crise de l’euro a mis à jour une énorme inadaptation des structures institutionnelles existantes à la monnaie unique et, de ce fait, un immense déficit démocratique. La plupart des décisions, lorsqu’elles n’ont pas été validées par des personnalités non élues issues de la troïka, ont été prises ou négociées dans le huis-clos du Conseil de l’Union européenne.

Les signataires du manifeste entendent donc mettre sur la table des propositions visant à démocratiser un système cousu sur mesure pour pérenniser la monnaie unique.
Ne sont en revanche pas envisager les possibilités de déconstruction organisée de cette même monnaie.

Si la mise en place d’un Parlement européen de la zone euro pourrait améliorer les problèmes de transparence connus aujourd’hui, la gestion commune de l’impôt sur les sociétés ainsi que d’une partie de la dette viendrait retirer aux Parlements nationaux le droit de décider souverainement de recettes budgétaires relevant pourtant de leurs compétences.
Le manifeste offre ainsi peu de gages de démocratie, et pas davantage de garanties de progrès social.

Les propositions

Trois éléments sont avancés pour améliorer la gouvernance de la zone euro : un impôt commun sur les sociétés, la mutualisation partielle des dettes et la mise en place d’un parlement pour la zone euro.

Un impôt commun sur les sociétés

Pour lutter contre l’optimisation fiscale, le manifeste propose de « déléguer à une instance souveraine européenne le soin de déterminer une assiette commune aussi large que possible et rigoureusement contrôlée » de l’impôt sur les sociétés.
Cette gestion commune se fera d’abord entre la France et l’Allemagne puis entre tous les pays de la zone euro.

Plus concrètement, les signataires proposent les modalités suivantes :

Chaque pays continue de fixer son propre taux d’IS sur cette assiette commune, avec un taux minimal de l’ordre de 20%, et qu’un taux additionnel soit prélevé au niveau fédéral, de l’ordre de 10%. Cela permettrait d’alimenter un budget propre de la zone euro, de l’ordre de 0,5% à 1% du PIB.

Le Parlement de la zone euro (présenté plus bas) serait donc compétent pour déterminer les valeurs essentiels d’un impôt perçu majoritairement par les Etats.

Ce budget de la zone euro permettrait « d’impulser des actions de relance et d’investissement, notamment en matière d’environnement, d’infrastructures et de formation« .

La mutualisation partielle des dettes

C’est un vieux serpent de mer que les personnalités politiques françaises de gauche et du centre réclament depuis plusieurs mois.

Il s’agit de mettre en commun toutes les dettes dépassant 60% du PIB dans chaque pays. Le Parlement de la zone euro fixera « chaque année le niveau du déficit commun, en fonction notamment de l’état de la conjoncture« . L’objectif est de ramener ce fonds à un niveau zéro, c’est à dire de supprimer toutes les dettes supérieures à 60% du PIB.

Le problème de cette proposition est qu’elle est très floue.

Premièrement, elle semble indiquer que les Etats seront contraints à limiter leur endettement national à 60% du PIB. La dette supérieure étant « prise en charge » par l’Union. Juridiquement, je vois mal comment cette limitation pourrait être mise en place. A l’heure actuelle, même s’il risque des sanctions, rien ne peut dicter la politique budgétaire d’un Etat.

Deuxièmement, et par voie de conséquence, elle placerait la responsabilité de toutes les dépenses nationales assises sur cette dette sur le « gouvernement européen » et Parlement de la zone euro. C’est ici un dessaisissement total des Parlements et gouvernements nationaux dans la construction des budgets. Un dessaisissement d’autant plus dangereux qu’il place l’avenir d’un pays entre les mains de parlementaires étrangers sur lesquels le citoyen n’a aucune prise. La souveraineté « partagée » n’est absolument pas gage de démocratie.

Troisièmement, la proposition ne dit absolument pas, alors qu’il s’agit d’une question cruciale, si les dettes seront garanties conjointement ou non. Plus simplement : est-ce que les Etats ne remboursent que ce qu’ils ont reçu ou bien la totalité des emprunts ?

Pour plus de précisions sur la question des eurobonds, je vous renvoie à l’excellent article du blog la Théorie du tout.
Rappelons simplement que les eurobonds ne constituent pas un « emprunt gratuit » fait auprès de la BCE mais un emprunt effectué sur les marchés financiers et garanti par l’ensemble des Etats.

Un Parlement de la zone euro

Il semble que le manifeste envisage de remplacer l’actuel Conseil européen (Conseil des chefs d’Etat) par la mise en place d’une seconde chambre parlementaire composée de délégués des Parlements nationaux.

Dans ce schéma, l’Union européenne comporterait deux chambres : le Parlement européen actuel, élu directement par les citoyens des 28 pays ; et la Chambre européenne, représentant les Etats au travers de leurs parlements nationaux. […] Un ministre des finances de la zone euro, et à terme un véritable gouvernement européen, seraient responsable devant la Chambre européenne.

Plusieurs remarques :

L’opportunité de créer cette nouvelle chambre repose sur une critique du Conseil européen : « Pour passer enfin à la règle de la majorité sur les décisions fiscales et budgétaires que les pays de la zone euro choisiront de mettre en commun, il faut créer une véritable Chambre européenne, où chaque pays serait représenté par des députés représentant tous les bords politiques, et non par leur seul chef d’Etat. »
Or, les décisions prises pour la gouvernance de la zone euro le sont par l’eurogroupe (réunion des ministres des finances des Etats de la zone euro) ou par le Conseil de l’Union européenne (ministres de tous les Etats membres de l’UE). On comprend mal pourquoi le manifeste a choisi de viser le Conseil européen (qui ne fait que fixer les orientations générales de l’UE) plutôt que les véritables instances de décisions.

Outre la question des eurobonds et de l’impôt sur les sociétés, rien n’est précisé sur le contenu des compétences qui seront exercées par le Parlement de la zone euro.
Quelles devraient-être, selon les auteurs du manifeste, « les décisions fiscales et budgétaires que les pays de la zone euro » mettront en commun ? S’agit-il de lui confier toutes les décisions prises pour la gouvernance de la zone euro ? Et qu’en est-il de la gouvernance des pays non membres de la zone euro ?
Il est seulement indiqué, qu’à terme, le Parlement de la zone euro pourrait prendre des décisions sur des sujets aussi divers que la co-gestion des entreprises, l’accueil de la petite enfance, la formation, l’harmonisation des législations sociales ou encore la lutte contre le changement climatique.

Enfin, le manifeste reste également silencieux sur les rapports qu’entretiendraient ces nouvelles institutions avec l’actuel Parlement européen, la Commission européenne et la BCE.

La réforme nécessaire des Traités

Sans plus de précisions, le manifeste laisse ainsi la part belle à l’imaginaire des signataires. Chacun imaginera la mutualisation des dettes et le fonctionnement du nouveau gouvernement européen à sa convenance.

Bien que les propositions soient imprécises, on constate cependant déjà la nécessité d’une réforme des Traités.
Les auteurs le reconnaissent et, fort justement, estiment que le débat ne pas être laissé à l’Allemagne et qu’il convient de s’en saisir dès à présent.

Beaucoup s’opposeront à nos propositions en arguant du fait qu’il est impossible de modifier les traités, et que le peuple français ne veut pas d’un approfondissement de l’intégration européenne. Ces arguments sont faux et dangereux. Les traités sont modifiés en permanence, et ils l’ont encore été en 2012 : l’affaire fut réglée en guère plus de 6 mois. Malheureusement, il s’agissait d’une mauvaise réforme des traités, qui n’a fait qu’approfondir un fédéralisme technocratique et inefficace.

L’argumentation est un peu fallacieuse. On ne peut sérieusement poser le soutien du peuple français et la possibilité de réformer les Traités dans le sens proposé par le manifeste en s’appuyant sur la réforme de 2012.
Celle-ci n’est absolument pas présentée par les auteurs du manifeste. Ils indiquent uniquement qu’il « s’agissait d’une mauvaise réforme des traités, qui n’a fait qu’approfondir un fédéralisme technocratique et inefficace« . Quels sont les signataires qui seront allés chercher plus loin ?
En réalité, cette réforme de 2012 est celle qui a permis la mise en place du mécanisme européen de stabilité. Elle a été ratifiée par l’ensemble des Parlements nationaux mais reste inconnue du grand public.

Les Etats auraient-ils du se lancer dans une réforme de grande ampleur des Traités, visant à démocratiser le fonctionnement de l’euro, plutôt que de mettre rapidement en place le MES et soulager ainsi les dettes publiques nationales ? Les auteurs du manifeste semblent le suggérer. Que serait-il advenu de la monnaie unique dans ces conditions ? Il est facile de se féliciter de la survie de l’euro mais, dans ce cas, il convient de reprendre également à son compte les décisions peu démocratiques ayant permis ce sauvetage.

Mais revenons-en aux propositions du manifeste.
Rien ne garantit que les dirigeants de la zone euro partageront les recommandations des auteurs. Rien ne garantit non plus que les peuples de la zone euro les suivront. De même, nul ne connait les contreparties qui seront demandées par les Etats qui ne partagent pas la monnaie unique.
Surtout, rien ne garantit que cette nouvelle Europe sera synonyme de progrès social.

Les choix qui seront faits par cette instance seront parfois plus conservateurs, et parfois plus libéraux, que ceux que nous souhaiterions personnellement. Mais ils seront pris de façon démocratique, à la règle de la majorité, au grand jour.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]

(1) Florence Autret, auteur et journaliste ; Antoine Bozio, directeur de l’Institut des Politiques Publiques ; Julia Cagé, économiste à Harvard, Ecole d’économie de Paris ; Daniel Cohen, professeur à l’Ecole normale supérieure et à l’Ecole d’économie de Paris; Anne-Laure Delatte, économiste au CNRS, université Paris X et OFCE ; Brigitte Dormont, professeur à l’université Paris Dauphine ; Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques ; Philippe Frémeaux, président de l’institut Veblen ; Bruno Palier, directeur de recherches au CNRS, Sciences Po ; Thierry Pech, directeur général de Terra Nova ; Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS, professeur à l’Ecole d’économie de Paris ;Jean Quatremer, journaliste; Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, directeur d’études à l’EHESS ; Xavier Timbeau, directeur du département Analyse et prévision, OFCE, Sciences Po ; Laurence Tubiana, professeur à Sciences Po, présidente de l’Iddri


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