« L’action de la Troïka a été le théâtre de nombreux conflits d’intérêts » Liem Hoang Ngoc

223007625_7Liem Hoang Ngoc est eurodéputé socialiste. Élu en 2009 dans la région Est, il a réussi en un mandat à s’imposer dans le groupe socialiste et démocrate comme un parlementaire en pointe sur les questions de gouvernance économique.

Monté au créneau contre l’introduction de la règle d’or budgétaire dans le Two-Pack, il a défendu un certain nombre d’amendements visant à une plus grande prise en compte des questions sociales dans la gestion budgétaire des États. C’est un travail que l’on ne peut que saluer même si l’on reste très critique du fonctionnement de la monnaie unique.
L’euro justement, il dit en « off » s’en ficher un peu : « S’il faut faire sans l’euro, on fera sans. Moi je suis pour le socialisme« .

Malgré ce travail de qualité et de conviction, le bureau politique du Parti socialiste n’a pas choisi de le réinvestir pour les prochaines élections européennes. La tête de liste de la Région Est a été confiée à Édouard Martin, syndicaliste de Florange.

Durant ma semaine à Strasbourg, la séance plénière du Parlement européen était notamment consacrée au débat et au vote du rapport d’enquête sur le rôle et les activités de la troïka (BCE, Commission et FMI) dans les pays sous programme de la zone euro. Liem Hoang Ngoc était le co-rapporteur socialiste de ce rapport et a accepté de m’accorder un entretien (ci-dessous) quelques minutes avant sa présentation en séance.

Le rapport est très critique, non seulement sur les résultats des politiques prônées par la Troïka, mais également sur son fonctionnement institutionnel non démocratique.

Il faut noter que le rapport a été approuvé à une très large majorité par les parlementaires européens (448 votes pour, 140 votes contre et 27 votes blancs).
Hormis 15 absences, la quasi-totalité des parlementaires français ont voté pour le rapport. Seuls Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, Bruno Gollnisch (FN), Jean-Luc Mélenchon, Younous Omarjee et Marie-Christine Vergiat (Gauche unitaire européenne GUE), ont voté contre. Patrick le Hyaric (GUE) a voté blanc.

Sur les décisions prises par la Troïka, notons que les rapporteurs regrettent que les résultats ne soient pas au rendez-vous:
« Le Parlement européen déplore que les mesures mises en œuvre aient entraîné à court terme une accentuation des inégalités dans la répartition des revenus; constate que les inégalités dans la répartition des revenus se sont accrues au sein des quatre pays concernés dans des proportions supérieures à la moyenne; observe que la réduction des prestations sociales et des services sociaux ainsi que l’augmentation du chômage, provoquées par les mesures contenues dans les programmes destinés à remédier à la situation macroéconomique, de même que les réductions des salaires, entraînent une hausse de la pauvreté« 

De même, le rapport « déplore que les recommandations contenues dans les protocoles d’accord soient contraires à la politique de modernisation élaborée au titre de la stratégie de Lisbonne et de la stratégie Europe 2020« .

Mais il rejoignent également une critique notamment formulée par les juges constitutionnels allemands en remettant en doute le fait que l’assistance financière soit « de nature à inciter [les États] à mettre en œuvre une politique budgétaire saine« . Le rapport regrette en effet « une situation indésirable où l’assistance remplace presqu’entièrement le financement qu’assurent habituellement les marchés« .

Sur la forme, le rapport reconnait que les décisions prises par la Troïka l’ont été dans des situations d’extrême urgence et que les institutions de la zone euro n’étaient pas préparées à gérer une crise d’une telle ampleur. Néanmoins les parlementaires regrettent « le manque de transparence dans les négociations » et s’interrogent sur le fait de savoir si « les documents officiels ont été communiqués clairement aux parlements nationaux et au Parlement européen et examinés par ces derniers dans des délais raisonnables, et dûment débattus avec les partenaires sociaux« .

Aussi, le rapport souligne « l’absence d’une base juridique adéquate pour la création de la troïka au regard du droit primaire de l’Union, situation qui a conduit à l’instauration de mécanismes intergouvernementaux tels que le FESF et, finalement, le MES » . Le Parlement « demande que toute solution future repose sur le droit primaire de l’Union » et appelle à cet égard une réforme des traités européens.

En attendant, les parlementaires rappellent la Commission à l’application du nouveau règlement relatif à l’assistance financière (Two-Pack) et appelle chacune des institutions composant la Troïka (notamment l’eurogroupe) à plus de responsabilité politique, devant le Parlement européen et devant les Parlements nationaux.

Entretien avec l’eurodéputé Liem Hoang Ngoc, rapporteur socialiste du rapport sur la Troïka

[box type= »note » icon= »none »]223007625_7Vous présentez aujourd’hui en séance plénière un rapport sur le travail de la Troïka. Pouvez-vous nous indiquer les conclusions de ce rapport ainsi que ses éventuelles propositions ?

Il s’agit d’un rapport d’initiative d’enquête donc ce n’est pas une commission d’enquête où les protagonistes [BCE, Commission, FMI] étaient tenus d’être auditionnés. Ce n’est pas une commission d’enquête parce que le PPE n’en a pas voulue. Les socialistes et démocrates l’ont demandé, le PPE n’a pas souhaité faire le procès de la troïka dont il estime que les politiques portées sont bonnes.
On a quand même réussi obtenir en Conférence des Présidents un rapport d’initiative qui maintient le terme d’enquête, ce qui permet un compromis où on a deux co-rapporteurs (un PPE et un socialiste) – une formule d’exception – et où on arrive malgré tout à un texte cohérent posant le problème de la légitimité démocratique de la Troïka, et questionnant l’efficacité des politiques demandées.

S’agissant de la légitimité démocratique, le texte s’interroge sur les bases légales sur lesquelles reposent la participation de la Commission et la Banque centrale à cette structure intergouvernementale. A bien des égards la Commission et la BCE ont outrepassé leurs prérogatives fixées dans le Traité de fonctionnement de l’Union et leur action a été le théâtre de nombreux conflits d’intérêts.

Dans la restructuration de la dette grecque, la Banque centrale n’a pas pris ses pertes. Pour sauver les banques grecques, elle a obligé les contribuables à payer mais elle, qui détient 34 milliards de dette grecque achetés sur le marché secondaire, n’a pas pris ses pertes.

La Commission, quant à elle, n’a pas été garante de l’acquis communautaire, contrairement à sa mission. Par exemple, elle a fermé les yeux devant la proposition de l’eurogroupe, en présence du Commissaire Olli Rehn, de taxer les petits déposants à Chypre alors qu’il existe une directive garantissant les dépôts inférieurs à 100000 euros.

Par ailleurs la Charte des droits fondamentaux a été bafouée à de nombreuses reprises dans le cadre de l’application du mémorandum qui veut même remettre en cause certains principes contenus dans les traités tels que le principe de subsidiarité en matière de politique sociale. La Commission n’a pas jugé bon de garantir ces acquis communautaires.

Nous soulevons ainsi certains problèmes institutionnels et appelons à un plus grand contrôle démocratique des futurs mécanismes d’assistance, à une extinction progressive de la Troïka et à la montée en puissance d’un mécanisme qui n’existait pas en 2010, qui est le Mécanisme européen de stabilité. Il est appelé selon nous à devenir un véritable Fonds monétaire européen que nous proposons de piloter de façon communautaire car aujourd’hui le MES est essentiellement une institution intergouvernementale ce qui pose problème car, en contrepartie de l’assistance financière octroyée aux Etats membres est demandée une certaine conditionnalité en matière de politique économique.

Quand il s’agit de décider des politiques à suivre, tout cela se fait en intergouvernemental avec voix prépondérantes de l’Allemagne. On reproduit ainsi dans le MES un fonctionnement qui a été critiqué dans notre rapport au sujet de l’eurogroupe puisque des décisions controversées sont prises dans l’opacité et arrivent devant les Parlements nationaux des Etats membres.
Nous demandons que le Parlement européen et le Conseil soient de la partie, avec la codécision dans le pilotage du futur Fonds monétaire européen, afin de discuter de façon la plus sereine possible des politiques qui doivent être appliquées ensuite dans les Etats.

Ces derniers mois, de nombreux textes ont été adoptés afin de réformer la gouvernance économique européenne. En tant que député de l’opposition, quelle a été votre « plus-value » sur ces textes ?

Ma valeur ajoutée à consister à dire qu’il fallait une coordination des politiques économiques parce que je pense qu‘à partir du moment où on fait le choix de la monnaie unique il faut achever l’architecture institutionnel qui permet à cette monnaie unique de fonctionner. Donc il faut des politiques budgétaires appropriés. Si à l’échelle nationale une certaine discipline est imposée il faut mettre en chantier dans ce cas là à l’échelle communautaire une politique budgétaire plus importante qui permette de faire face aux chocs asymétriques et permette de relancer la croissance en période de récession, pratiquer des politiques anticycliques.

Malheureusement, on n’en est pas là. L’approche qui a été retenue, qui prédomine, est une approche que je qualifierai d’ordofédérale. C’est une approche qui est privilégiée par la chancelière allemande.
Elle consiste à dire que dans un régime de monnaie unique, quand il y a des déséquilibres macroéconomiques, ce sont les réformes structurelles qui doivent être privilégiées pour résorber ces déséquilibres : l’ajustement du cout du travail, l’ajustement de l’emploi, la réduction des dépenses publiques pour pouvoir réduire les impôts qui pèsent sur la production, etc.

La voix de la chancelière est forte puisque la Commission a mis en chantier un sorte nombre de textes législatifs qui incluent cette philosophie ordolibérale, en particulier le Six-Pack et le Two-Pack qui estiment qu’il faille organiser la discipline budgétaire et même fixer des indicateurs autours desquels s’ordonnent les politiques structurelles notamment sur le marché du travail avec un tableau de bord incluant le cout du travail, la compétitivité au regard du commerce extérieur, etc.

Vous avez pourtant voté en faveur du règlement renforçant le contrôle budgétaire des Etats membres par la Commission (Two-Pack). Les socialistes ont-ils obtenu des contreparties satisfaisantes ?

J’ai voté contre le Six-Pack parce que je considérais qu’il était emprunt d’une logique ordofédérale et ordolibérale. S’agissant du Two-Pack, deux règlements d’application du Six-Pack, dont l’un posait le problème d’une capacité budgétaire à l’échelle européenne et la mise en chantier d’une mutualisation de la dette. La rapporteure socialiste de ce texte a bataillé pour obtenir ces éléments importants et cela aurait été maladroit de ne pas la soutenir sachant qu’elle touchait des points qui sont extrêmement sensibles dans le débat actuel. Compte tenu du rapport de force très défavorable à nos idées, tout pas en avant est bon à prendre.[/box]

Vous pouvez retrouver ci-dessous la présentation en séance plénière du rapport par Liem Hoang Ngoc :

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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