Pour une Communauté politique de l’euro : décryptage du projet du Groupe Eiffel

groupe eiffel communauté euroEn ce moment, les projets et les manifestes appelant à une intégration accrue des pays européens se multiplient. La feuille de route des pro-européens est en effet chargée : garantir la pérennité de la monnaie unique, démocratiser le fonctionnement de l’Union et clarifier la place de chacun (institutions nationales, institutions européennes, Europe des 28, Eurozone et Union plus étroite).

Il faut lire avec attention ces premières propositions, car elles nous renseignent sur les éléments qui pourraient bien figurer dans un prochain Traité européen. Elles nous éclairent également sur les différentes influences qui traversent les partis et think-tanks pro-européens : fédéralisme européen, coopérations renforcées, approches strictement intergouvernementales.

Cet article est le troisième volet d’une chronique consacrée au décryptage de ces nouvelles propositions, le premier s’étant attaché au projet d’intégration différenciée de l’institut Notre Europe, le deuxième au manifeste pour une Union politique de l’euro.
Le présent article se penche désormais sur le projet « Pour une Communauté politique de l’euro« .

Ce nouveau projet est proposé par le Groupe Eiffel Europe. Comme indiqué sur leur site internet, le groupe « est pluraliste, non partisan ; chacun des membres s’exprime à titre personnel, sans engager aucune institution ni famille politique ».
En font partie, Agnès Bénassy-Quéré, Yves Bertoncini, Jean-Louis Bianco, Laurence Boone, Bertrand Dumont, Sylvie Goulard, André Loesekrug-Pietri, Rostane Mehdi, Etienne Pflimlin, Denis Simonneau, Carole Ulmer et Shahin Vallée.

Les propositions

Au lieu de l’impersonnelle « zone euro », le Groupe Eiffel propose la constitution d’une « Communauté politique de l’euro ».
Sa première mission sera de consolider la monnaie unique, « car c’est la condition du retour de la prospérité et de l’emploi« .
Pour se faire, la Communauté se dotera de nouveaux instruments destinés à amortir les aléas de la conjoncture (par exemple, la mise en place d’une allocation chômage européenne, l’encouragement à la mobilité, l’harmonisation partielle des marchés du travail).

Dans le même temps, la Communauté « mènera des politiques tournées vers le long terme, dans les domaines où elle peut être plus efficace que chacun des membres qui la composent » (la transition énergétique, la recherche et les grandes infrastructures telles que les réseaux numériques, le transport et l’énergie).

Coté institutionnel :

Un exécutif propre de la Communauté de l’euro, distinct des organes nationaux, resserré, devra être mis en place. Ce gouvernement sera choisi à l’issue de l’élection d’une assemblée par les Européens des pays de la Communauté exprimant leurs suffrages le même jour, selon les mêmes modalités.
L’assemblée sera chargée de contrôler l’exécutif en continu et, le cas échéant, de le censurer.
Cet exécutif aura d’une part pour mission de mener à bien les politiques qui lui sont confiées, en disposant d’un budget autonome, financé par des ressources propres. Dans ses domaines de compétences, il jouira d’un pouvoir discrétionnaire, naturellement encadré par les règles fixées en commun et sous le contrôle de l’assemblée parlementaire et de la Cour de Justice. D’autre part, il veillera au respect, par les gouvernements nationaux, des engagements mutuels.

Cette Communauté de l’euro serait constituée par l’approbation d’un nouveau Traité. Les auteurs prévoient la possibilité d’entrée en vigueur du Traité alors qu’il n’aurait pas été ratifié par l’ensemble des Etats, ceci afin « d’éviter qu’une infime minorité de population ne prenne toute la Communauté en otage« .
A cet égard, on conçoit mal comment un État membre de la zone euro pourrait refuser d’entrer dans la Communauté sans mettre en difficulté l’ensemble des États.

Un débat faussement ouvert

Comme les signataires du Manifeste pour une Union politique de l’euro, le Groupe Eiffel reconnait l’immense déficit démocratique de la zone euro causé par l’inadaptation des institutions actuelles face aux nécessités posées par l’existence d’une monnaie unique.

Les membres du groupe entendent donc mettre sur la table des propositions visant à démocratiser un système cousu sur mesure pour pérenniser la monnaie unique (celle-ci étant le « socle d’un projet plus vaste destiné à unir les hommes« ).
Par conséquent, ne sont absolument pas envisager les possibilités de déconstruction organisée de cette même monnaie.
Et pour cause : « personne n’est capable de calculer précisément son cout [de l’abandon de l’euro] mais il serait terriblement élevé« . L’argument est imparable et les explications sans contestations possibles ….

  1. La dévaluation augmenterait mathématiquement le coût de la dette libellée en euros, souvent détenue par des étrangers
  2. Elle obligerait les Etats à faire défaut et conduirait à des faillites dans le secteur financier.
  3. Elle accroîtrait aussi le prix des produits importés, à commencer par le pétrole et le gaz.
  4. Les entreprises retrouveraient des risques de change à l’exportation, ce qui serait mauvais pour la croissance et l’emploi.
  5. Les ménages perdraient une partie de leur épargne, les Européens leur réputation.

Les propositions auraient, pourtant, largement gagné à ne pas caricaturer les conséquences d’une sortie de l’euro. Sans débat posé à ce sujet, comment espérer l’adhésion des français à un projet institutionnel (fédéralisme) et économique (budget commun, harmonisation..) d’une si grande ampleur ?

En effet, hormis l’argument de la catastrophe économique, les autres arguments manqueront de poids pour qui ne ressent pas la fibre européenne résonner en lui : les valeurs communes, la promotion de la paix, le risque de ne pas être suffisamment fort pour s’imposer dans la mondialisation, …

Bref, si « il n’y pas de raison de craindre une discussion sur les meilleures formes d’organisation politique« , « l’idée que « l’Europe des Nations » peut encore, en 2014, offrir une perspective utile, n’aide pas à progresser« . Voilà qui ouvre le débat.

La France doit « abandonner quelques unes de ses illusions« , notamment l’idée d’une Europe puissance à leur service exclusif; elle doit sortir de sa « posture défensive, pleine de non-dits et de tabous« . En gros, elle doit enfin reconnaitre explicitement les abandons de souverainetés qu’elle a accepté en adoptant l’euro. Elle doit cesser de donner « à la construction européenne ses coups d’arrêt les plus brutaux : de 1954, avec le rejet de la Communauté européenne de défense, à 2005, avec le refus du traité constitutionnel« .

Un fédéralisme assumé mais non mesuré

Sous les belles promesses d’une Europe enfin sociale et protectrice, le projet fait admettre aux lecteurs le principe d’une Fédération sans en mesurer tous les aspects.

C’est clairement assumé, le Groupe Eiffel propose de remettre eu cause le principe de subsidiarité pour lui préférer un clair partage des compétences entre le niveau de la Communauté de l’euro (fédéral) et celui des États (fédérés) : « à terme, le principe doit s’imposer qu’à  décision européenne, contrôle européen, à décision nationale, contrôle national« .

Les États conserveront des responsabilités propres, pour la conduite de leurs politiques selon une définition claire des compétences qui rompe avec la facilité d’une « subsidiarité » mal définie, prétexte à toutes les renationalisations.

Cependant, avant d’en arriver à cette situation où les agissements souverains d’un Etat fédéré ne viendrait pas mettre en péril la Communauté, il faudrait beaucoup de temps et d’argent. Combien pour que le défaut d’un Etat européen ne remette pas en cause l’existence de l’euro, à l’image d’une Californie en difficulté budgétaire sans conséquence sur l’Union américaine ? Difficile de le dire, et le projet ne n’explique pas.

En attendant, si la fin du principe de subsidiarité met de coté les risques de « renationalisations« , le fédéralisme d’exception (pourtant critiqué dans le projet) aura bien lieu : les budgets nationaux seront contrôlés par le gouvernement européen, l’harmonisation fiscale empiétera sur les souverainetés nationales.
Un risque d’autant plus grand que le projet propose de confier à la Cour de Justice de l’UE le soin de sanctionner les Etats qui manqueraient à leurs obligations.

Il s’agit […] de mettre en commun les domaines dans lesquels les Etats ne sont plus l’échelon pertinent ainsi que de conférer à des procédures qui existent déjà dans la zone euro d’aujourd’hui, (par exemple le contrôle ex ante des budgets par les ministres, sur recommandation de la Commission européenne), une légitimité démocratique plus forte.

Ainsi, si la Communauté peut sans difficulté empiéter sur les compétences souveraines (budget, impôts) des Etats fédérés, ces derniers sont appelés à rester en retrait du processus décisionnel européen. Le Groupe Eiffel exclue ainsi explicitement le projet de coopération interparlementaire promu par le Pacte budgétaire (TSCG).

Enfin, deux remarques :
– à ceux qui espèrent voir dans ce projet une reprise en main fédérale, et donc un partage, du remboursement des dettes nationales, les auteurs l’excluent : « il ne s’agit pas de mutualiser la dette existante des Etats mais, le cas échéant, d’emprunter ensemble pour financer des projets communs. »
– concernant l’assemblée de la Communauté, le projet propose qu’elle puisse être composée de députés siégeant également au Parlement européen. Une note de bas de page explique cependant que le principe de la proportionnelle intégrale pourrait être abandonné au profit d’une élection de députés élus pour partie dans des circonscriptions de taille réduite, pour partie sur un scrutin de liste à l’échelle de l’ensemble de la Communauté. De quoi réduire l’influence des petits partis.

Sur le fond : quels résultats concrets ?

Le groupe Eiffel envisage la construction d’une Communauté de la zone euro qui viendrait « cohabiter, de manière aussi harmonieuse que possible » avec l’Union européenne à 28.

Cependant, les auteurs s’épargnent la difficile question de la réforme des Traités actuels et, de ce fait, rendent totalement illusoire l’idée de progrès dans une Union plus étroite.
Comment par exemple espérer qu’une véritable harmonisation fiscale entre 17 Etats membres suffise à redresser l’économie de ces Etats alors que la libre circulation des capitaux reste en l’état ? En quoi cette proposition règle-t-elle, notamment, le problème du dumping fiscal des pays nouvellement entrés dans l’UE ?

De même, l’indépendance de la BCE n’est absolument pas remise en cause, de même que l’objectif de stabilité des prix, alors que les auteurs reconnaissent le risque majeur de la déflation. La BCE « doit surmonter de multiples craintes contradictoires, liées aux différences de culture monétaire  et à l’hétérogénéité des divers Etats membres« .

Nous considérons que l’indépendance de la BCE, pour ce qui est de la conduite de la politique monétaire, reste un bon principe. Nous sommes en revanche convaincus que l’action de la Banque centrale européenne sera d’autant plus efficace qu’elle sera adossée à une Communauté politique pouvant mettre en œuvre des politiques communes ambitieuses, et dont les organes seront dotés de toute la légitimité nécessaire pour faire accepter les mesures décidées en commun.

La construction d’une autre Europe ne peut faire l’économie d’une réforme des Traités actuels.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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