Conférence interparlementaire de Rome : les Parlements nationaux se feront-ils entendre ?

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Conférence interparlementaire de Vilnius, octobre 2013

Alors que l’on commence à apercevoir l’inefficacité juridique et économique d’une règle d’or budgétaire adoptée dans la douleur, une autre disposition du controversé « Pacte budgétaire » semble également battre de l’aile : la mise en place d’une « Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique de l’Union européenne ».

L’article 13 du Traité (TSCG) prévoit en effet la création d’une coopération renforcée entre les Parlements nationaux des différents États membres et le Parlement européen.
Cette disposition, dont l’existence a été vivement appuyée par Pierre Lequiller, alors Président de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, n’a fait en réalité que réitérer une possibilité déjà prévue dans les Traités européens mais jamais approfondie.

Depuis l’entrée en vigueur du TSCG le 1er janvier 2013, deux conférences ont eu lieu : l’une à Vilnius en octobre 2013, l’autre à Bruxelles en janvier 2014.
La troisième conférence du genre aura lieu la semaine prochaine : les 29 et 30 septembre 2014 à Rome.

C’est sur elle que repose beaucoup d’espoirs d’approfondissement démocratique de la gouvernance de l’UE. L’objectif est grand : intégrer les Parlements nationaux dans le processus de décision économique européen, eux qui ne semblent aujourd’hui qu’être de simples chambres d’enregistrement.
Malheureusement, non soutenus par les exécutifs nationaux et contrés par les eurodéputés, les parlementaires nationaux peinent à faire de cette nouvelle instance un véritable lieu de pouvoir.

Les ambitions déçues de Vilnius

Alors que deux textes (une conclusion et un règlement) devaient être adoptés dans le cadre de la conférence de Vilnius et marquaient un vrai souci d’associer les Parlements nationaux au débat, seule une contribution a pu voir le jour.
En cause: un Parlement européen visiblement très inquiet de voir les Parlements nationaux s’immiscer dans les débats européens.

L’approbation du règlement avait alors été remis à la prochaine conférence.
Un amendement, déposé par Monsieur Caresche avait cependant été adopté. Il laissait entrevoir une victoire possible de la vision ambitieuse défendue par le Parlement français. La contribution excluait en effet d’en faire un  « simple forum » et place la Conférence, de par la participation des parlementaires nationaux, comme un moyen de légitimer les décisions prises dans le cadre du semestre européen.

Malheureusement, la conférence de Bruxelles de janvier 2014, organisée par le Parlement européen a démontré la volonté de ce dernier « de limiter autant que possible la portée de cette conférence et d’affirmer ses prérogatives« .
Dans leur compte-rendu, les députés français Danielle Auroi, Christophe Caresche et Pierre Lequiller expliquent ceci : « l’organisation de la conférence à Bruxelles a ainsi mis en évidence la volonté [du Parlement européen] de dissoudre la conférence au sein de la semaine parlementaire européenne qu’il a lancée il y a deux ans. […] En outre, la question de l’établissement d’un règlement intérieur, destiné à préciser les objectifs et le mode de fonctionnement de la conférence, n’était pas inscrite à l’ordre du jour » .

Dans leur compte-rendu, les sénateurs Philippe Marini, Jean Arthuis et Richard Yung se montraient également très insatisfaits : « S’agit-il d’un simple forum de discussion entre parlementaires ou veut-on en faire une véritable association des parlements nationaux à la gouvernance économique et financière de l’Union européenne ? Cette ambiguïté a conduit notre collègue à souvent se demander ce qu’il faisait là ! La succession de discours, marquée par l’absence de spontanéité et par une très faible interactivité, l’a conduit à émettre des doutes sur la pertinence de telles rencontres.« 

Face à cette déception, la Présidence grecque de l’Union européenne a décidé d’organiser une consultation destinée à rassembler l’ensemble des amendements proposés par les parlements sur le projet de règlement intérieur issu de la session de Vilnius. L’objectif est de permettre une adoption du règlement lors de la conférence de Rome.

Les délégations françaises et allemandes prennent la main

Pour faciliter l’adoption du règlement, en tentant de « déminer » les questions qui opposent les délégations française et allemande, les parlementaires des deux pays ont décidé d’organiser conjointement une réunion bilatérale le 12 mai dernier à l’Assemblée nationale.

La discussion, fort intéressante, nous permet de prendre conscience du fossé qui sépare parfois les deux Parlements.
Il ressort des débats que les députés allemands refusaient totalement que les parlementaires réunis en conférence puissent être à l’initiative de conclusions, contraignantes ou non.
Au contraire, les députés et sénateurs français semblaient se réjouir qu’une nouvelle tribune soit offerte aux parlementaires nationaux.
Pourquoi ? Parce que ces derniers ne disposent à ce jour d’aucun moyen institutionnel de participer véritablement à la prise de décision européenne.
Au contraire, le Bundestag peut, depuis la réforme constitutionnelle relative au Traité de Maastricht, influencer la position de l’Allemagne au sein du Conseil. Autrement dit, les parlementaires allemands participent depuis plus de 20 ans, au débat européen tandis que leurs homologues français subissent les décisions de l’exécutif.

« En 1992, dans le traité de Maastricht, il fut décidé que, dans de nombreux domaines, la règle retenue pour les votes serait l’unanimité. À l’époque, la Cour constitutionnelle fédérale avait rendu un arrêt indiquant que, dans la mesure où le Parlement allemand ne pourrait plus faire usage de son droit de veto, il devrait pouvoir exercer son influence préalablement à toute décision.
Des droits de participation aux prises de décision européennes ont ainsi été développés durant les vingt dernières années et, récemment, un texte relatif à la coopération entre le Gouvernement fédéral et le Bundestag a été adopté. Le principe retenu est que le Bundestag doit pouvoir prendre position sur les affaires au fond. Ce droit de participation est exercé par l’intermédiaire du Gouvernement allemand au Conseil européen, et il porte sur tous les sujets qui font l’objet de décisions dans les instances européennes, hormis la politique de sécurité et de défense commune : le pacte de stabilité et de croissance, les questions relatives au semestre européen, etc. Point d’importance, si l’article 23 de la Loi fondamentale fait référence au Bundestag en tant qu’entité, la Cour a précisé que tout député devait avoir la possibilité de demander au Gouvernement allemand de prendre en compte tel ou tel point lors des négociations européennes.
Dans ces conditions, il me semble difficile d’envisager de donner à la conférence interparlementaire la possibilité d’exercer une influence sur des négociations concernant une politique sectorielle, puisque le Bundestag dans son ensemble, et chaque député individuellement, disposent déjà de ce droit.« 

Manuel Sarrazin, député allemand

Face à ces décalages constitutionnelles, les parlementaires allemands et français se sont entendus sur les règles suivantes :
les conférences devront être indépendante de toutes institutions, notamment du Parlement européenne, et devront établir une stricte égalité entre toutes les délégations participantes, qu’elles soient européennes ou nationales,
le calendrier devra assurer la plus grande visibilité possible à la conférence,
les projets d’ordre du jour devront être transmis au plus tôt aux Parlements nationaux afin que ces derniers puissent transmettre leurs propositions,
– au lieu de dégager, via le vote ou le consensus, des conclusions communes à l’ensemble des participants, la Présidence organisatrice devra publier ce qui, de son point de vue, s’est dégagé de la conférence et synthétiser ainsi l’ensemble des opinions,
les conclusions ne seront en aucun cas contraignantes pour les institutions européennes ou nationales.

La conférence de Rome

Après plus de dix heures de débat sur des questions institutionnelles, financières et fiscales, l’ordre du jour de la conférence de Rome prévoit une heure consacrée à l’approbation du règlement de la conférence.

Les résultats de la consultation grecque ou le projet de règlement ne sont actuellement pas disponibles pour le public.
Il faudra donc attendre la fin de la conférence et le compte rendu de nos parlementaires pour connaitre le fond du débat et le texte, s’il réussit à être adopté.

Au vu des éléments de compromis trouvés avec les parlementaires allemands, il apparait que cette conférence permettra seulement de rappeler aux souvenirs des institutions européennes que leurs décisions concernent en premier lieu les Parlements nationaux. En créant un espace de débat partagé entre tous les parlementaires de l’UE, il faut espérer que leurs avis soient davantage pris en compte lors de l’élaboration de nouvelles règlementations. Cependant, cela risque probablement de se heurter aux ambitions du Parlement européen, toujours plus soucieux d’étendre ses prérogatives.

En tout cas, ce n’est vraisemblablement pas dans cette voie que le Parlement français trouvera un moyen sérieux de se faire entendre par l’exécutif.
Malheureusement, si les décideurs français ne se privent pas de voir dans le voisin outre-Rhin un modèle économique, les prérogatives que ce dernier offre à ses parlementaires ne semblent toujours pas inspirer les deux principaux partis français.

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