Gouvernance européenne, souverainetés et faillite démocratique

[box] Parce qu’il résume assez bien tout le travail effectué sur ce blog sur les problèmes posés, selon moi, par l’approfondissement de la gouvernance économique européenne, j’ai voulu remettre en avant ce texte.
Celui-ci a également été traduit en anglais et est disponible ici. Je remercie beaucoup le traducteur qui se reconnaitra. [/box]

Vers une gouvernance économique renforcéeDepuis un peu plus de trois ans, des changements majeurs sont intervenus dans ce que l’on a l’habitude d’appeler la gouvernance économique européenne. Un intitulé qui a la caractéristique de ne pas mettre en avant les acteurs à l’œuvre de cette gouvernance et qui reconnaît que la discipline budgétaire est toute en entière axée sur des considérations économiques.
Posée par les critères de Maastricht, la gouvernance économique européenne vise les instruments de contrôle des politiques économiques (notamment budgétaires) des Etats et leur coordination européenne.

Elle pose pourtant de sérieuses interrogations (et réserves) démocratiques et juridiques. Des réserves qui doivent nous conduire à ne plus seulement nous interroger sur les opportunités économiques du maintien de la monnaie unique, mais également, et surtout à mon sens, sur ses opportunités juridiques et institutionnelles.
La monnaie n’est qu’un outil. Elle doit être au service du bien commun et de la démocratie.

Des changements majeurs dans la gouvernance économique de la zone euro

a) Un renforcement de la discipline budgétaire
– décembre 2011, le Six-Pack : ensemble de 5 règlements et une directive visant à renforcer le Pacte de stabilité (1997). Les sanctions à l’égard des Etats ne respectant pas les critères de stabilité ont été renforcés, ainsi que le volet préventif du Pacte.
– 2012, le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union économique et monétaire) dit « Pacte budgétaire » : il intègre dans le droit national des Etats signataires les principes de discipline budgétaire
– mai 2013, le Two-Pack : deux règlements visant d’une part, à établir un cadre de surveillance pour les Etats disposant ou souhaitant disposer d’une aide financière et, d’autre part, à permettre le contrôle des projets de budgets par la Commission chaque automne
– Deux nouvelles propositions de renforcement sont actuellement à l’étude : d’une part, la coordination ex-ante qui vise à coordonner au niveau européen toutes les grandes réformes (notamment les retraites) et d’autre part, les contrats de réforme qui offrent aux Etats des aides en contrepartie de réformes structurelles.

b) Des instruments de soutien financiers : Mécanisme européen de stabilité financière, Fonds européen de stabilité financière, Mécanisme européen de stabilité et le programme OMT de la Banque centrale européenne

c) Le contrôle du secteur bancaire (dite « Union bancaire ») avec la mise en place d’un mécanisme de surveillance unique et un mécanisme de résolution unique

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces récents changements :
la nécessité de remettre les Parlements nationaux dans la boucle, même de manière fictive. En effet, le Pacte budgétaire ne renforçait pas le droit européen en matière de surveillance budgétaire.
l’Europe à plusieurs vitesses : le Pacte budgétaire a également mis en avant le fait que l’Europe ne pouvait se construire à 27. Le Traité n’a été signé que par 25 Etats.
les Traités européens sont trop contraints : nécessité de passer par une voie parallèle, notamment par des accords intergouvernementaux (Pacte budgétaire, Mécanisme européen de stabilité), ou encore par l’action indépendante de la BCE (programme OMT)
– la reconnaissance que la crise, qui sert pourtant de prétexte à de graves cures d’austérité, est avant tout une crise de la dette privée. L’Union bancaire vient ainsi achever la monnaie unique en supprimant, à terme, les risques de change.

Ces conclusions donnent ainsi raison aux critiques formulées depuis de nombreuses années par les souverainistes :
l’Europe se construit loin des peuples et de leurs représentants « naturels » (les Parlements nationaux)
les élargissements ont largement endommagé la capacité de l’Union européenne à se réformer
– et, par conséquent, la difficulté, voire l’impossibilité de construire une autre Europe.

Une remise en cause démocratique

Le renforcement de la discipline budgétaire s’est fait loin des Parlements nationaux. Ils n’ont en effet pas participé à l’adoption des règlements constitutifs de cette gouvernance européenne (Pacte de stabilité et de croissance, Six-Pack et Two-Pack).
Les premiers concernés sont ainsi réduits au rôle de spectateurs de l’Union européenne.

Cette situation est exacerbée en France par le fonctionnement institutionnel de la Vème République. L’exécutif détient en effet le monopole de l’action internationale.
Elle est exacerbée également par le huis-clos des Conseils européens et par la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne qui a une interprétation extensive des compétences de l’Union.

En matière de gouvernance européenne, deux exemples démontrent la mise de coté des parlementaires nationaux :
la décision du Conseil constitutionnel français relative au Pacte budgétaire (aout 2012) : celle-ci dispose que, dans la mesure où le principe de coordination a été ratifié au travers du Traité de Maastricht en 1992, la discipline budgétaire peut à loisir être renforcée sans qu’il y ait atteinte au principe de souveraineté nationale.
lors de la ratification du Traité établissant le mécanisme européen de stabilité en 2012, le Parlement français n’a adopté aucune loi annexe au Traité permettant de contrôler les décisions du ministre au sein du Conseil des gouverneurs. Ceux-ci semblent considérer que les seules lois de finances, approuvant les seuls transferts de fonds suffisent au contrôle parlementaire. A ce jour, ce sont tout de même 16 milliards d’euros de capital « libéré » qui ont été versés par la France au MES.

Le déficit démocratique de la gouvernance économique se retrouve non seulement dans la procédure d’adoption mais également dans le fonctionnement quotidien. Le symbole le plus marquant est sans aucun doute le Conseil de l’eurogroup : il n’y a pas d’ordre du jour, aucun compte-rendu, les communiqués de presse sont exclusivement en anglais et il n’y a aucune transparence des débats et des positions de chaque ministre.
Cette critique est aussi bien formulée par les anti-Union européenne que par les pro-européens.

Aujourd’hui, seul le Parlement européen est présenté comme la solution au problème de déficit démocratique.
A la question « Faut-il remettre les Parlements nationaux dans la boucle? », les eurodéputés répondent non. L’article 12 du Pacte budgétaire, qui met en place les conférences interparlementaires sur la gouvernance européenne, a été vidé de sa substance par les institutions européennes. La conférence interparlementaire de Vilnius a été un échec, le Parlement européen ayant refusé d’approuver un accord avec les représentants nationaux. Cette question est en France défendue notamment par Monsieur Caresche et Monsieur Marini.

Je suis curieuse de connaitre les propositions du Royaume Uni qui, dans l’optique d’une révision des Traités, semble souhaiter un renforcement des Parlements nationaux et notamment de leur droit de véto.

Une remise en cause juridique

On peut indiquer cinq points pouvant faire l’objet de critiques légales

a) Le Pacte budgétaire

Sa légalité a été remise en cause par le professeur Fischer Lescano lors d’une étude commandée par le groupe GUE du Parlement européen.
Sur la forme, il indique que le Traité transfert de nouvelles compétences aux institutions européennes alors qu’il a été approuvé par les seuls Etats. Par conséquent, les institutions ne devraient pas participer à la mise en œuvre de ce Traité car elles n’ont pas été impliquées dans la procédure d’adoption.
Sur le fond, le Traité prévoit un élargissement de la procédure dite de la majorité inversée. Il prévoit également la possibilité de sanction de la CJUE si la règle d’or n’est pas jugée adaptée et ce, en méconnaissance du principe de subsidiarité.

b) Le Mécanisme européen de stabilité

Outre la décision « tirée par les cheveux » de la CJUE, il faut noter que le Traité est entré en vigueur avant que la modification de l’article 136 du TFUE, présentée pourtant comme nécessaire à la mise en place d’un tel mécanisme, ait été ratifiée par l’ensemble des Etats européens. En effet, le mécanisme est entré en application en septembre 2012 alors que la République Tchèque n’a ratifié la modification de l’article 136 du TFUE qu’en mars 2013.

c) Le programme OMT de la Banque Centrale européenne

La récente décision du Tribunal constitutionnel allemand, même s’il renvoie l’interprétation finale à la CJUE, dresse de sérieuses réserves sur la légalité du programme OMT au regard des Traités européens et de la Constitution allemande.

d) Le Two-Pack

Le règlement prévoyant la transmission des projets de budgets à la Commission européen peut être critiqué sur la forme. Les dispositions appelant à la mise en place d’un Conseil indépendant des finances publiques ne répondent pas au principe de subsidiarité. D’autre part, ces mêmes dispositions appellent des mesures de transposition et auraient donc du faire l’objet d’une directive européenne.

e) La Troïka

Dernièrement, le professeur Fischer Lescano a mis en doute la légalité des dispositions des programmes d’austérité, qu’il juge contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

La gouvernance de la zone euro, en plus de reposer sur un déficit démocratique croissant, repose de plus en plus sur une incertitude juridique : une sorte de « bricolage » juridique pour pallier aux insuffisances des Traités européens.
Nous sommes loin d’une Union européenne fondée sur le droit et la raison.

Conclusion

Il faut se questionner sur l’existence de l’euro, non pas uniquement en terme économique, mais également en terme politique.

L’Europe des Etats Nations ne parait pas être en mesure de faire fonctionner la monnaie unique. Son maintien nécessite donc une intégration accrue.

On voit clairement deux logiques s’opposer et on ne sait pas laquelle des deux craindre le plus : l’intégration « en douce » (prônée par la France afin d’éviter un nouveau 2005) et la méthode fédéraliste.  De nombreux parlementaires européens se sont déjà clairement prononcé en faveur de la suppression de l’unanimité dans la réforme des Traités (vers une Europe à plusieurs vitesses).

Journées parlementaires ELD/EFD – intervention de Magali Pernin, 19 février 2014 (La vidéo est ici)


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