Marché transatlantique: les positions initiales de la Commission européenne

Ignacio Garcia Bercero ttip
Ignacio Garcia Bercero, négociateur en chef européen

Suite à l’approbation de la version définitive du mandat de négociation donné à la Commission européenne par les ministres du Commerce lors du Conseil du 14 juin 2013, le lancement des négociations n’a pas tardé.

En effet, le premier cycle de négociations sur le marché transatlantique (TTIP pour « Transatlantic Trade and Investment Partnership ») a eu lieu à Washington du 8 au 12 juillet 2013. Les négociateurs ont également rencontré 350 acteurs de la société civile, afin d’écouter leurs présentations et répondre à leurs questions. Le deuxième cycle de négociations aura lieu en octobre 2013, à Bruxelles.

Avant le lancement de ce deuxième « round », il me semblait donc important d’essayer de faire le point sur l’avancée des négociations.

Tout d’abord, il est important de préciser que ce premier cycle de négociations du mois de juillet n’en était pas vraiment un; il s’agissait plutôt d’une première réunion de « défrichage » durant laquelle ont été abordés près de 20 domaines que le marché transatlantique entend couvrir.
Malgré tout, il reste très difficile d’obtenir des informations précises sur le contenu des discussions de juillet.

Transparence : la position ambiguë de la Commission européenne

D’après un article du journal Les Echos, « la Commission européenne s’insurge contre les récentes fuites intervenues dans la presse, où s’étale son mandat de négociation« . Pour cause, l’Union européenne aurait débuté les discussions « en position de faiblesse« . Les fuites du mandat de négociation  octroyé à la Commission auraient permis aux États-Unis de connaitre les limites précises aux discussions placées par les ministres européens.

Si ce manque de discrétion a pu profiter aux américains, ces derniers semblent désormais s’inquiéter des fuites qui pourraient intervenir le contenu des négociations. Dans une interview parue sur le site EurActiv, le député européen José Bové s’indigne de l’attitude indécente des États-Unis:

« C’est indécent ! J’étais début septembre au compte-rendu des négociations à la Commission, qui se fait à huis clos. Lorsque le représentant européen a dit que les négociations devaient rester secrètes, le représentant américain lui a coupé la parole et s’est lancée dans une leçon de sécurisation des communications ! Il a insisté sur le fait que les européens ne devaient parler des négociations qu’avec des téléphones cryptés, alors qu’ils ont l’indécence d’espionner et de mettre sur écoute la planète entière. Alors moi je vous le raconte exprès, parce que ca suffit le manque de transparence. D’ailleurs en tant que députés de la commission Commerce international du Parlement européen nous avons accès qu’à des compte-rendus globaux. »

D’un autre coté, et sans doute parce que ses cartes ont déjà été divulguée, la Commission européenne ne semble plus particulièrement attachée au secret.
Alors que le gouvernement français, visiblement mal à l’aise face à l’inquiétude de l’opinion publique, reprochait à la Commission son manque de transparence, cette dernière a sèchement renvoyé Paris dans ses cordes. Les commissaires ont répliqué le 16 juillet à la France, qui lui avait demandé la veille de rendre public son mandat de négociation, en soulignant que cela relevait de Paris et des autres États membres: «Cette décision n’est pas entre nos mains. C’est légalement une décision qui doit être prise par la France avec les autres États membres, dans la mesure où il s’agit d’un document du Conseil».

Depuis, si Paris s’est tue, la Commission européenne semble travailler à un effort de communication sur ses positions dans le cadre des négociations.
Le 16 juillet dernier, elle a décidé de mettre en ligne ses « positions initiales », c’est à dire les documents techniques qui ont été présentés aux négociateurs américains au cours du premier cycle de négociations de Washington. Quelques jours plus tard, la liste nominative des agents de la Commission en charge des négociations a également été publiée.

Une seule chose pourra cependant être reprochée aux commissaires, c’est que si ces documents (tout comme le mandat de négociations), restent parfaitement lisibles par leurs homologues américains, ils le sont beaucoup moins pour les citoyens européens.
D’une part ces documents sont uniquement disponibles en anglais. D’autre part, le vocabulaire est très techniques et donc peu intelligible pour les non spécialistes de commerce international.

Les positions initiales de la Commission européenne

Les dispositions transversales et institutionnelles sur les questions réglementaires

En matière de dispositions transversales, on apprend que la Commission entend bien négocier un accord global, conformément au mandat donné par les États européens.
Aussi, il apparait que la Commission envisage d’inclure dans le TTIP un « mandat unique » qui permettrait ensuite aux régulateurs transatlantiques « de s’engager dans la règlementation internationale et la coopération bilatérale » en lieu et place des parties actuelles.
Rappelons que la Commission européenne représente déjà les États européens dans le cadre des institutions commerciales (l’OMC par exemple).
Enfin, il est évidemment indiqué la création d’un cadre institutionnel pour la coopération future des parties au Traité de libre échange. Ce dernier devra prévoir:
– une procédure de consultation visant à aborder les questions relatives aux règlementations européennes et américaines, à la demande d’une des parties;
– une procédure simplifiée pour modifier les « annexes sectorielles » au TTIP sans nécessiter une nouvelle procédure de ratification;
– un corps aux compétences législatives chargé de formuler des propositions de réglementation.

Les obstacles techniques au commerce

Dans le cadre des obstacles techniques au commerce, plusieurs grandes idées sont identifiables.
D’une part, la Commission européenne s’attache à ce que « les engagements qui seront convenus dans le TTIP s’appliquent de façon égale à la fois aux Etats européens et américains ». Elle fait état des difficultés des exportateurs européens de « comprendre les règles auxquelles ils doivent se conformer pour accéder au marché américain, en particulier lorsque plusieurs couches de réglementation (fédéral/régional/municipal) coexistent ».
D’autre part, il est indiqué que « la coopération plus étroite entre l’UE et les Etats-Unis ne doit pas porter atteinte à leurs échanges commerciaux avec le reste du monde ». Aussi, « l’harmonisation mondiale doit être poursuivie dans le cadre des accords internationaux et des organisations dans lesquels l’UE et les Etats-Unis participent ».
Idéalement, la Commission souhaite retenir une logique d’objectif: « la législation définir les exigences générales (santé, sécurité, protection de l’environnement) mais laisser au marché fixer les moyens d’y parvenir ».
Elle se présente comme favorable au maintien et au développement des mécanismes de coopération propres à des secteurs spécifiques (comme existants actuellement en matière automobile et pharmaceutique) afin de tenir compte de la nature particulière de ces produits.
La Commission européenne souhaite également explorer les similitudes qui pourraient être mises en place en matière de contrôle de la conformité des produits.
Enfin, concernant le marquage et l’étiquetage des produits, il est indiqué que « les exigences de marquage obligatoire doivent être limitées dans la mesure du possible à ce qui est essentiel et ce qui est le moins restrictif pour le commerce ». Lorsque l’obligation de marquage existerait du coté américain, la possibilité devrait être laissée aux producteurs européens de marquer également leur produit. En outre, une attention est apportée aux mesures visant à contrôler les marquages « pouvant induire en erreur les consommateurs ou les institutions publiques » (des sanctions sont envisagées).

Les mesures sanitaires et phytosanitaires

Concernant les mesures sanitaires et phytosanitaires, la Commission européenne entend négocier un chapitre ambitieux dit « SPS plus ». Il devrait être sans préjudice du droit de l’UE et des États membres d’adopter et appliquer, dans leurs compétences respectives, « les mesures nécessaires à la poursuite des objectifs légitimes de politiques publiques telles que la santé publique et la sécurité en conformité avec l’Accord SPS de l’OMC ».
Le nouveau chapitre SPS du TTIP s’appuiera sur l’accord d’équivalence vétérinaire adopté en 1999.

Les marchés publics

Concernant les marchés publics (c’est à dire les achats des institutions publiques), suggère d’inclure les questions suivantes dans les négociations:
– l’amélioration de la transparence (une meilleure information donnée aux entreprises sur les modalités de passation des marchés publics),
– l’application pratique de la dématérialisation électronique des marchés publics
– le contrôle de la taille des marchés: s’assurer que le montant des contrats n’est pas utilisé dans le but de contourner les engagements d’accès au marché,
– les spécifications techniques ne doivent pas constituer des barrières artificielles,
– les marchés réservés et les préférences nationales (Buy American par exemple) ne doivent pas restreindre les possibilités d’approvisionnement,
– les engagements du niveau fédéral doivent couvrir également les Etats américains.

Les matières premières et de l’énergie

En matière énergétique, la Commission entend faire du TTIP « un modèle pour les négociations ultérieures impliquant des pays tiers » et un moyen de « promouvoir le développement durable ».
Elle entend également confirmer le fait que les « parties doivent rester pleinement souveraines en ce qui concerne les décisions d’opportunité visant à permettre ou non l’exploitation de leurs ressources naturelles ». En revanche, « une fois que l’exploitation est autorisée, l’accès non discriminatoire au fait d’exploitation devrait être garanti ».
Il est indiqué que « l’intervention des gouvernements dans la fixation des prix des produits énergétiques sur le marché national pour les utilisateurs industriels et des produits énergétiques destinés à des fins d’exportation devrait être limitée ».
Enfin, l’accord de commerce transatlantique devra également promouvoir les énergies renouvelables et garantir « le droit de chaque partie de maintenir ou d’établir des normes concernant l’efficacité énergétique des produits tout en travaillant à une convergence des normes ».

Le développement du commerce et durable

Pour finir, la Commission s’attache à prendre en compte les principes européens de développement durable en introduisant ces derniers dans chacun des chapitres de l’accord et en y consacrant un chapitre spécifique. L’objectif sera de s’assurer que « le commerce et l’activité économique ne puisse se développer sans garantir la poursuite des politiques sociales et environnementales ».
Le point de départ des discussions pourraient être la déclaration de 1998 sur l’Organisation internationale du travail ainsi que les accords multilatéraux sur l’environnement.
Il est précisé que l’accord sera sans préjudice pour les parties de réglementer de façon spécifique « afin de refléter ses propres priorités en matière de développement durable ». Néanmoins, « les normes sociales et environnementales ne doivent pas être utilisées comme une forme de protectionnisme déguisé ».

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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