Les députés ont refusé le retour à la circonscription unique « nationale » pour les élections européennes

electioneuropeenneJeudi 28 mars, les députés français ont longuement discuté d’une proposition de loi déposée par les sénateurs en mai 2009.
Celle-ci vise à rétablir une circonscription unique pour l’élection des représentants de la France au Parlement européen.

Je vous propose ici de faire la rapide genèse de cette proposition et de présenter les principaux arguments avancés par les députés lors de la discussion générale.

Cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat en juin 2010 avec les voix du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe RDSE et de plusieurs élus centristes.
Elle a fait l’objet d’une nouvelle transmission à l’Assemblée nationale en juillet 2012.

Le 26 septembre 2012, le député Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de ses collègues déposent une proposition de loi visant le même objectif.

De même, les députés Jean-Luc Laurent, Marie-Françoise Bechtel et Christian Hutin ont également déposé une proposition de loi similaire le 19 décembre dernier.

Cette proposition entend revenir au mode de scrutin qui prévalait de 1979 à 2003, lorsque les représentants français au Parlement européen étaient élus à la représentation proportionnelle appliquée à l’échelle nationale.
En 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait déposé un projet de loi mettant en place huit grandes circonscriptions françaises.

En 2010, les sénateurs socialistes avait approuvé la proposition de loi du Sénat.

De même, Harlem Désir essayait depuis quelques temps d’appuyer cette proposition auprès du Président de la République avant de se rétracter récemment. Désormais, le gouvernement ainsi que la majorité socialiste n’entendent donc plus appuyer favorablement le retour à la circonscription unique à laquelle ils se disaient attachés en 2003.

De fait, les députés des groupes PS, UMP et UDI se sont une nouvelle fois réunis autour d’une opposition commune à ce texte: les uns jugeant le système actuel suffisamment satisfaisant du point de vue du pluralisme politique, les autres satisfaisant du point du vue du « non émiettement » des voix.
Face à eux, les députés de gauche entendaient, eux, aider les petits partis à gagner quelques sièges au Parlement européen, espérant ainsi susciter l’intérêt des français pour ce scrutin déserté.

Résumé des débats:

Thierry Repentin, secrétaire d’État aux affaires européennes, argumente ainsi l’opposition du gouvernement:
– le retour à la circonscription unique est « une réponse insatisfaisante à une question légitime, celle de la participation électorale. ». En effet, « il n’est pas établi que le cadre du scrutin soit déterminant quant au taux de participation.« .
– « Le mode d’organisation actuel de l’élection européenne cherche à concilier la proximité entre les électeurs et les élus et la représentation des divers courants d’idées et d’opinions. », étant entendu que le droit européen ne nous permet pas la mise en place de circonscriptions de plus petites tailles (1).

Alain Tourret (radical), rapporteur du texte auprès de la commission des lois, rappelle cependant au ministre que l’abstention, qui certes ne peut être seulement imputée au scrutin régional, a cependant progressé de façon catastrophique. De surcroit, les circonscriptions interrégionales n’ont pas renforcé la proximité avec les électeurs.

« C’est une douce rigolade que de dire que les circonscriptions interrégionales ont renforcé la proximité avec les électeurs. Connaissez-vous, chers collègues, le nom de vos députés européens ? […] En guise de lien de proximité, c’est le tourisme électoral qui s’est renforcé, certains, soi-disant particulièrement attachés à leur circonscription, n’hésitant pas à la quitter pour en rejoindre une autre distante de 500 ou 1 000 kilomètres. Ce lien n’existe pas.« 

Surtout, le député met en avant la grande difficulté que connaissent les petits partis à obtenir des représentants dans le cadre de ce mode de scrutin: « aujourd’hui, dans les grandes circonscriptions comme l’Île-de-France ou le Sud-Est, c’est un score de 8 % qu’il faut réaliser pour pouvoir prétendre à un siège. Dans les circonscriptions plus petites, comme Massif central-Centre, il faut réunir 15 % des suffrages pour obtenir un représentant.« .

Selon lui, seule une circonscription nationale unique peut permettre un véritable débat européen.

Jean-Jacques Urvoas (PS), président de la Commission des lois, ne semble pas convaincu par les arguments avancés par Alain Tourret.
D’une part, il rappelle qu’en 1998, le gouvernement de Lionel Jospin avait déposé un projet de loi visant à créer des grandes circonscriptions pour les élections européennes. Le projet avait cependant été retiré.
Il y a donc toujours eu un certain consensus entre l’UMP et le PS sur cette réforme de scrutin, même si le député reconnait qu’ « aucune thèse n’emporte véritablement la conviction et [que] tous les arguments sont réversibles.« .

Pour Monsieur Urvoas, la responsabilité serait davantage a rechercher du coté des eurodéputés français dont certains accordent peu d’importance à leur mandat: « Faut-il rappeler que, dès le lendemain des élections de juin 2009, trois parlementaires nouvellement élus ont immédiatement décidé de ne pas siéger et que, sur les 72 élus français, douze ont déjà abandonné leur mandat – comme sous la précédente législature?« .

« Je veux donc bien discuter du changement de mode de scrutin, mais je ne crois pas que telle la réponse à la désaffection des Français pour l’Union européenne, laquelle a davantage à voir avec notre comportement politique au sein du Parlement.« 

La députée Danielle Auroi (EELV) parait également partagé cet avis peu attaché à l’un ou l’autre scrutin. Elle reconnait tout d’abord que les circonscriptions régionales n’ont ni permis de contrer l’abstention, ni d’éviter les parachutages, ni même de « raffermir l’encrage local« . D’un autre coté, la circonscription unique, pratiquée en France pendant vingt-cinq ans, n’avait pas non plus empêché les campagnes de tourner sur de simples débats franco-français.

Madame Auroi espère, en outre, « qu’un jour une fraction des eurodéputés sera élue sur une base transnationale« .

« Quelle que soit la circonscription retenue, nous ne parviendrons à mobiliser les électeurs qu’en incarnant clairement la démocratie européenne. Cela impose que les partis préparent et animent la campagne à l’échelon européen, expriment leur vision de l’Europe et se dotent de programmes précis sur tous les enjeux.« 

Pour François de Rugy (EELV), les trois arguments avancés en 2003 en faveur des circonscriptions régionales n’ont pas tenus leur promesse:
– l’abstention: celle-ci n’a pas reculé, bien que le député reconnaisse qu’il est contestable de lier forte participation et mode de scrutin,
– le lien avec les élus: « Ce mode de scrutin a trop souvent servi à favoriser le parachutage de personnalités politiques recalées par le suffrage universel »
– clarification du débat politique: sans existence propre, ces régions n’ont pas permis de faire émerger un débat public consistant.

Pour Roger-Gérard Schwartzenberg (radical), le mode de scrutin mis en place en 2003 n’a pas tenu ses promesses: des circonscriptions trop grandes, dépourvues de « réalité humaine, historique, géographique ou économique« , des têtes de liste interrégionales de plus faible notoriété et donc moins mobilisatrices, et enfin, « un frein au pluralisme, comme un obstacle à la représentation de la diversité des forces politiques« .

Ces différents arguments ont été également indiqués par Marc Dolez, annonçant ainsi l’appui des députés du Front de gauche pour cette proposition de loi.

En revanche, pour Pascal Popelin (PS), l’augmentation de l’abstention n’est pas à mettre sur le dos de tel ou tel mode de scrutin.
De fait, non convaincu des arguments avancés par « la gauche de la gauche », le député indique que ce débat lui apparait « non prioritaire, et [qu’il est] donc inopportun, de modifier aujourd’hui le mode de désignation de nos représentants au Parlement européen. »

Pour Guillaume Larrivé, s’exprimant au nom du groupe UMP, la faute n’est pas non plus à mettre sur le compte du mode de scrutin régional: « Ce n’est pas en supprimant les circonscriptions régionales et en recréant une circonscription nationale unique que l’on réaffirmera l’intérêt des Français pour le Parlement européen. ».
Selon lui, la pratique d’un scrutin proportionnel dans huit circonscriptions régionales s’efforce en effet de combiner trois exigences: « le pluralisme, la parité et l’ancrage territorial« .
Surtout, le député rappelle que le Parlement européen lui-même préconise la création de circonscriptions régionales dans tous les États membres dont la population est supérieure à 20 millions d’habitants.

Pierre Lequiller insiste à son tour: si la circonscription unique était adaptée au rôle consultatif du Parlement européen, ce dernier est désormais une véritable institution parlementaire qui nécessite la « légitimité démocratique » de ses membres.
Pour le député, cette régionalisation a permis de renforcer cette légitimité en s’assurant que les parlementaires défendent les intérêts régionaux de leurs électeurs.
Aussi, elle a permis d’éviter « l’émiettement de nos députés au sein de différentes formations politiques au Parlement européen » afin de maintenir l’influence française au sein de cette institution.

Une position reprise également par Thierry Mariani, pour qui la circonscription unique entrainerait:
– un « poids excessif des enjeux purement hexagonaux dans les élections européennes »
– « l’absence de tout contrôle de l’électeur sur l’action de ses représentants au Parlement européen« : « Faute de pouvoir les identifier à un territoire, l’électeur ne connaît pas leur action et ne peut donc les interpeller sur leurs votes à Strasbourg« .

« Je suis, pour ma part, opposé à tout scrutin proportionnel et je souhaiterais que les élections européennes aient lieu dans 74 circonscriptions, et que dans chacune d’elles les électeurs puissent désigner leur parlementaire européen. »

Pour la petite histoire, les députés du groupe UMP ont déposé deux motions: l’une visant au « rejet préalable » du texte (qu’ils ont finalement décidés de ne pas voter), l’autre visant à renvoyer en Commission des lois la proposition.
Dans la présentation de cette dernière, le député Marc Le Fur a indiqué regretter un « tripatouillage électoral » faisant « le lit des extrémistes qui seront bien plus à l’aise dans un système national« .

« La liste nationale aboutirait à affaiblir la position de la France. C’est une vraie difficulté. […] nous nous disperserions et nous aurions des représentations massivement extrémistes. Il faut que nous sachions investir les deux principaux groupes qui sont, de fait, des codécideurs au niveau du Parlement européen. »

A son tour, Arnaud Richard (UDI) annonce l’opposition de son groupe à la proposition de loi. Selon lui, ce mode de scrutin national « affaiblirait la démocratie en Europe« .

« Le groupe UDI plaide pour une Europe des peuples, des territoires et des régions, une Europe concrète et humaine dans laquelle les peuples se reconnaissent, s’identifient et s’impliquent. L’élection au Parlement européen doit impérativement prendre en compte la richesse territoriale de la France et la diversité de ses territoires. »

Pour Jacques Bompard, député non inscrit, le retour à la circonscription nationale renforcerait encore davantage le poids de partis. Il reconnait que le meilleur système serait, afin de rapprocher les députés des électeurs, la mise en place d’un scrutin uninominal. Ce dernier étant interdit, « il est malheureusement difficile de faire mieux pour l’instant« .

 

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]

(1) Les articles 1er et 2 de l’acte modifié du 20 septembre 1976 portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct stipulent que les États membres peuvent, dans le cadre d’un scrutin « de type proportionnel », constituer des circonscriptions pour l’élection au Parlement européen ou prévoir d’autres subdivisions électorales « sans porter globalement atteinte au caractère proportionnel du mode de scrutin »

Sources complémentaires:

Une circonscription unique pour les élections européennes en France (Juillet 2010)
Élections européennes : retour à la circonscription unique ? (avril 2013)


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