Révision des traités européens : des eurodéputés demandent la suppression du veto

Révision Traités VétoCet après-midi, en écoutant Olivier Berruyer et Sylvie Goulard se disputer sur la légitimité et la légalité de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne suite au rejet du référendum de 2005, j’ai repensé au débat auquel j’ai assisté en septembre dernier à l’Assemblée nationale.
Le colloque était organisé par l’institut Schuman et avait pour objet un thème sur lequel je porte un grand intérêt : « Quel rôle pour les Parlements nationaux dans la réforme de l’Union économique et monétaire ? ».
Ce jour là, j’avais pris énormément de notes – que je n’ai malheureusement pas pris le temps de retranscrire ici – mais un sujet m’étais resté particulièrement en mémoire. C’est à celui-ci que je consacre mon article de ce soir.

Parmi les intervenants, il y avait le Président de la Commission en charge des affaires « constitutionnelles » du Parlement européen : Monsieur Carlo Casini.
Après avoir présenté sa vision des réformes à entreprendre pour obtenir un fonctionnement plus efficace de l’UEM, il s’est penché sur une question très pertinente : avant de réformer les Traités européens, « il faut s’entendre sur comment les réformer ».
Et, à cet égard, Monsieur Casini est tranchant : « Il n’est pas imaginable qu’un petit pays puisse bloquer le tout ».
Comprenez : lors d’une réforme des Traités, l’ensemble des Etats européens (les 28) doivent, soit par référendum, soit par voie parlementaire, approuver la modification. Une seule opposition peut mettre fin au processus de réforme. Or, s’il est entendu que les Parlements nationaux doivent constituer une « aide à la décision », une « force de proposition », ils ne doivent pas, en revanche, constituer un « frein à l’intégration ».

Pour contrer ces difficultés d’adoption, Monsieur Casini proposait donc alors ni plus ni moins que de passer outre le refus d’un Etat afin de permettre l’entrée en vigueur du Traité modifié.

Je dois vous avouer que j’ai alors trouvé cette proposition surréaliste, totalement déconnectée de ce que l’on peut entendre dans l’hexagone en matière de modification des Traités. Réaction bien naïve me direz vous. En France, on ne parle ja-mais de révision des Traités.

Une révision attendue des Traités

Pourtant, la révision des textes européens est un projet qui tient à coeur de nombreux parlementaires européens. Dans sa résolution du 13 mars 2013, le Parlement européen a mis en avant la nécessité de convoquer une Convention pour élaborer des amendements aux Traités.

Par conséquent, les parlementaires ainsi que les « think tanks » européistes travaillent régulièrement sur ces questions.

En novembre dernier, la Commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen a déposé un rapport sur les problèmes constitutionnels d’une gouvernance à plusieurs niveaux dans l’Union européenne.
Un rapport qui vient s’inscrire dans un débat de plus en plus fourni sur les modalités d’organisation de la zone euro : une intégration plus poussée, à l’intérieur même de l’Union européenne, sur laquelle les eurodéputés souhaitent garder, ou acquérir, un maximum de contrôle.

Je reviendrai plus tard sur les propositions émises par ce rapport en matière d’UEM car elles semblent dégager un fort consensus de la part des eurodéputés. Le rapport a en effet été adopté le 12 décembre en séance plénière à une forte majorité (71%).

Concernant la modification des Traités, voici ce que l’on peut lire dans le projet de rapport :
Le Parlement européen …

83. demande à la prochaine convention d’étudier la possibilité de faire entrer en vigueur des révisions futures des traités dans l’ensemble de l’Union, dès lors qu’elles auraient été ratifiées par les quatre cinquièmes des États membres représentant une majorité de la population de l’Union, conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives;

Cette revendication doit être observée sous deux angles différents:

  1. Permettre à un Traité d’entrer en vigueur dès lors qu’une majorité d’Etats l’a ratifié, seuls ces derniers y étant soumis;
  2. Permettre à un nouveau Traité de s’appliquer à l’ensemble des Etats dès lors qu’une majorité d’entre eux l’a ratifié;

La réforme de la procédure de révision

Rassurons-nous : la règle de l’unanimité étant actuellement en vigueur, aucun Etat européen n’ayant explicitement accepté un tel mode de fonctionnement pour l’avenir ne se le verrait imposer.
Cependant, l’acceptation croissante de l’idée d’Europe à plusieurs vitesses par les partisans d’une Union plus intégrée laisse imaginer que les Etats n’acceptant pas une telle disposition pourraient très bien être laissés de coté. De fait, il faut de moins en moins compter sur le refus d’un Etat pour faire obstacle à l’entrée en vigueur d’un Traité.

« En principe, même sous l’empire du traité de Lisbonne, toute modification de la procédure de révision requiert la double unanimité. […] L’écueil n’en reste pas moins de taille, puisqu’il suppose que les États unanimes renoncent à tout droit de veto.
La difficulté est-elle incontournable ? Autrement dit, les États membres de l’Union ne seraient-ils pas en droit de déroger à la procédure de révision prévue à l’article 48 TUE, en soumettant l’entrée en vigueur d’un traité de révision à des conditions différentes, par exemple dès que les 4/5 d’entre eux l’auront ratifié. » (1)

A mon sens, il s’agit ici d’une problématique tout à fait légitime: est-il juste qu’un État ne souhaitant pas modifier les Traités empêche les autres membres de le faire ?
En tout cas, les partisans d’une Europe plus intégrée semblent avoir pris acte de l’impossibilité d’avancer à 28.

Notons que c’est là la procédure qui a été choisie pour permettre une application rapide du Pacte budgétaire (TSCG) : il était prévu que celui-ci, signé par 25 Etats, entre en vigueur dès lors qu’il était ratifié par douze Etats membres de la zone euro.

La construction d’un noyau dur d’Etats renonçant à leur droit de véto

En vérité, ce que je prenais pour une déclaration surréaliste est une proposition qui date du milieu des années 1980 et qui a été reprise à son compte par l’eurodéputée française Sylvie Goulard :

« L’unanimité requise actuellement crée un risque de blocage qui n’est pas théorique. C’est pourquoi il est indispensable de prévoir, avant toute nouvelle révision des Traités, les modalités précises de leur future ratification. Rappelons que la Constitution des Etats-Unis d’Amérique est entrée en vigueur sans ratification unanime […]. De même, en Allemagne en 1949, la Bavière n’a pas formellement accepté la nouvelle Constitution fédérale […]. Le projet de traité d’Union d’Altiero Spinelli en 1984 ou le projet de Constitution rédigé par les fonctionnaires de la Commission européenne, durant la Convention, prévoyaient aussi des ratifications évitant le verrou de l’unanimité. » (2)

Il faut noter que Madame Goulard prévoit de régler à l’avance les conséquences d’un vote négatif (par référendum ou par voie parlementaire): « Chaque gouvernement s’engagerait, au cas où le vote serait négatif à lancer une nouvelle consultation demandant « Voulez-vous que notre pays continue à être membre de l’Union européenne en ratifiant ce traité ou, à l’inverse, quitte l’Union ?« .
Les mauvais esprits y verront là un vote de rattrapage systématique.

La disposition n°83 du rapport du Parlement européen a été approuvée par les membres de la Commission constitutionnelle (séance du 24 octobre 2013).
Plusieurs eurodéputés avaient cependant proposé des amendements demandant sa suppression (Ashley Fox, Werner Langen, György Schöpflin, József Szájer, Manfred Weber et Markus Ferber).
L’eurodéputé français UMP Jean-Pierre Audy demandait quand à lui que seules les révisions « ne touchant pas à la souveraineté des États membres » puissent éviter le verrou de l’unanimité.
Dans un souci de fédéralisation accrue, l’eurodéputé Gerald Häfner, au nom du groupe des Verts, souhaitait de son coté – sans succès – ajouter que « dans le cas de révisions ordinaires des traités » celles-ci puissent entrer en vigueur « également par l’intermédiaire d’un référendum paneuropéen qui se déroulerait le même jour dans tous les États membres« .

Enfin, Roberto Gualtieri proposait que cette règle de la majorité soit étendue à conférence des représentants des gouvernements, sans succès également.
(Avant d’être proposée à la ratification des Etats, une réforme des Traités doit actuellement être approuvée à l’unanimité des gouvernements.)

Le rejet en séance plénière

La disposition n°83 a cependant été rejetée par les eurodéputés lors de la séance plénière du 12 décembre 2013 du fait de l’opposition du groupe parlementaire majoritaire PPE (57% contre, 42% pour).
On notera aussi qu’aucun parlementaires socialistes issus du Royaume-Unis, du Danemark et du Suède n’a approuvé cette disposition (vote contre ou abstention).

Le vote des eurodéputés français nous éclaire sur leur opinion fédéraliste :

Sur les 74 députés « français »:

– Les membres du Parti populaire européen (PPE, 30 députés), issus de l’UMP, du Nouveau centre, de la gauche moderne et du Parti radical, ont tous voté contre, suivant ainsi la ligne du parti (Alain Lamassoure a cependant voté pour, Dominique Riquet a voté blanc et 7 autres parlementaires n’ont pas voté).

– Les membres de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE, 6 député), pour la plupart issus du MODEM, ont voté pour, suivant ainsi la ligne du parti, hormis Corinne Lepage qui n’a pas voté.

– Les membres de l’Alliance libre européenne-Les Verts (15 députés, dont Éva Joly, Daniel Cohn Bendit, et José Bové), ont voté pour, suivant ainsi la ligne du parti (plusieurs députés n’ont pas pris part au vote).

– Les membres de l’Alliance Progressiste des Socialistes & Démocrates (S&D, 14 députés), issus du Parti socialiste, ont voté pour, suivant la ligne du parti (quatre parlementaires, dont Françoise Castex, n’ont pas voté).

– Les membres de la Gauche unitaire européenne – Gauche verte européenne (5 députés, dont Jean-Luc Mélenchon), ont tous voté contre (Jacky Hénon et Patrick le Hyaric n’ont pas voté.

– Membre de l’Europe Liberté Démocratie (EFD, parti présidé par le célèbre N. Farage), Philippe de Villiers était absent.

– Parmi les non-inscrits, Bruno Gollnisch, Marine Le Pen et Jean-Marie Le Pen ont tous voté contre.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]

(1) Notre Europe, « Réviser les traités européens : Plaidoyer en faveur de la suppression du veto », 2009

(2) Sylvie Goulard et Mario Monti « De la démocratie en Europe » 2012


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