En mars dernier, je suis allée écouter une conférence de Pierre Khalfa, coprésident de la fondation Copernic, sur la désobéissance à l’Union européenne.
J’étais en effet curieuse de connaitre les modalités de cette désobéissance et les raisons qui, selon l’auteur, la justifiaient.
J’ai finalement entendu une longue argumentation visant à se distinguer le plus fortement possible des programmes politiques appelant, selon le conférencier, à une sortie de l’UE.
Pourtant, et l’auteur le reconnait lui même, « désobéir » c’est « rompre avec les Traités actuels ».
Alors pourquoi un tel tabou sur la sortie de l’Union ?
La désobéissance : qu’est-ce que c’est ?
Désobéir c’est avant tout croire qu’une autre Union européenne est possible. Non pas grâce au droit, mais, fidèle à la tradition de la gauche, grâce au rapport de force politique.
A juste titre, il est reconnu comme illusoire l’espoir de changer l’UE par le droit, compte tenu de la nécessité de recueillir l’aval des 28 Etats membres.
Face à l’impossibilité de modifier les règles actuelles, le gouvernement devra désobéir en prenant des « mesures unilatérales coopératives« .
Par exemple, le gouvernement devra enjoindre sa banque centrale de financer les déficits publics par de création monétaire.
Concrètement, cette désobéissance s’apparente peu ou prou à un rejet par la France de ses engagements internationaux. Une « désobéissance« , une « rupture« , bref une « dénonciation » de nombreuses dispositions des Traités européens. Pourtant, les partis prônant cette désobéissance, au premier rang duquel se trouve le Front de gauche, prennent grand soin d’éviter toute expression juridique laissant entendre les conséquences légales de son programme.
Désobéir à l’Union européenne, c’est rendre la sortie plus sexy.
La sortie plus sexy
Tandis que la raison pousserait à rechercher avec le plus grand soin les garanties juridiques entourant un programme de rupture, le Front de Gauche semble faire de cette improvisation un argument politique.
Il est en effet impossible de prévoir à l’avance les conséquences d’une lutte politique et sociale.
Pierre Khalfa le reconnait : si la sortie de l’euro n’est pas une fin en soit, elle découlera peut-être du projet politique.
Le droit n’est qu’une expression politique du rapport de force actuel. Il est écrit par la classe libérale dominante et il n’est donc pas question de s’inquiéter de son respect. Désobéir serait en soit le projet politique du Front de gauche.
Mais il est encore des conditions visant à rendre encore plus sexy la rupture avec les Traités européens.
La première c’est d’expliquer que cette rupture se fait au nom du progrès collectif européen : les mesures seraient certes unilatérales mais « coopératives« , « en ce sens qu’elles ne seraient dirigées contre aucun pays » et que « plus le nombre de pays les adoptant serait important, plus leur efficacité grandirait« .
La deuxième, par voie de conséquence, c’est de faire de la rupture un modèle pour les autres peuples européens.
La troisième, c’est de maintenir l’idée de la nécessité du maintien de l’Union européenne :
– parce qu’il faut lutter contre les replis nationaux, source de xénophobie,
– parce qu’il faut coopérer pour mettre fin au dumping fiscal et social,
– parce qu’il faut peser dans les négociations internationales.
Dans les faits cependant, le caractère coopératif de la désobéissance prônée par Pierre Khalfa est curieux. Tandis que les propositions de dévaluations compétitives sont critiquées car entraineraient « plus de concurrence, de dumping social et fiscal » entre les Etats, l’auteur propose comme exemple de mesure coopérative la création monétaire publique. Or, celle-ci conduirait également une dépréciation de la monnaie nationale et entrainerait de fait, la disparition de l’euro.
A la recherche de la bonne formule marketing
La rupture avec les Traités européens est un créneau étroit. Il est difficile de s’y faire une place de choix. Et si les programmes politiques sont ressemblant (laisser les français seuls maîtres des choix politiques nationaux), chacun tente de trouver la bonne formule marketing pour se distinguer.
Le Front de gauche a choisit la sienne. Grâce à la désobéissance il exprime à la fois le rejet d’un droit porteur de valeurs libérales, l’expression d’un espoir de mobilisations populaires internationales et, par la même, une critique des programmes nationalistes. C’est tout cela qu’il revendique en refusant de prendre part à une sortie de l’euro et de l’UE et en précisant systématiquement sa différence avec le Front national.
Ce dernier ferait de la sortie de l’UE, et donc du repli sur la sphère nationale, une fin en soit, tandis que le Front de gauche en fait un projet coopératif.
Pourtant, aucun des partis prônant la rupture (hormis l’Union Populaire et Républicaine), ne l’assume clairement. Quelque soit la formulation choisie, plus ou moins explicite (« désobéissance« , « dénonciation« , « renégociation« ,…), tous les partis présentent la rupture unilatérale comme un échec aux tentatives de renégociation des règles communautaires.
En droit cependant, il ne peut être considéré la possibilité pour la France de se désengager unilatéralement de certaines dispositions des Traités seulement. Seule la sortie de l’Union européenne est légalement prévue.
La formule magique de la « désobéissance » permet d’oublier la question juridique tandis qu’elle ravit tous les adeptes de l’insubordination.
Le Front de Gauche dit ainsi faire le pari du politique, c’est à dire de la possibilité de la France de convaincre ses partenaires européens d’accepter de nouvelles règles du jeu. Il fait fi des contraintes juridiques de modification des Traités et, par la même, présente la désobéissance comme une situation d’échec.
De quoi effrayer quelque peu ceux qui savent que désobéissance signifie rejet des institutions européennes, surtout lorsque l’on lit le sombre tableau dressé par Pierre Khalfa des programmes appelant à la sortie de l’UE.
[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]
A lire :
– Désobéir à l’Union européenne, pour faire quoi ? Par Pierre Khalfa, 9 janvier 2014
– Sortir de l’euro ? Pierre Khalfa répond à Marianne Par Pierre Khalfa, 3 février 2014
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