Le programme de François Bayrou au regard du droit de l’Union européenne (Chronique présidentielles 2012)

Bayrou-strasbourgDe tous les candidats François Bayrou est sans doute le plus europhile.

A l’opposé des programmes de Marine le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon (précédemment étudiés), le programme de François Bayrou ne comporte aucune critique des institutions européennes.
L’Europe n’est pas coupable de la crise, même pour partie. Elle seule offre, au contraire, les outils nécessaires à la croissance.

Partisan d’une construction européenne encore plus aboutie, il milite donc pour des institutions européennes dotées de plus de pouvoir.

Et pourtant, alors que François Bayrou a approuvé le Traité de Maastricht, défendu la Traité Constitutionnel européen et voté le Traité de Lisbonne, quelques unes de ses promesses se trouvent impossibles à réaliser car … contraires à ces Traités.

Porter devant les Français les principes d’un nouvel élan européen

François Bayrou propose de construire une Europe accessible, compréhensible, mobilisatrice des énergies nationales et reconnue comme une zone de solidarité.
Les plus mauvaises langues (comme moi) tireront de cette promesse le constat d’une Europe qui, après 60 ans de construction, reste inaccessible, incompréhensible, loin des Nations et peu solidaire.
Que nenni! Le programme de François Bayrou évitera soigneusement tout terme critique à l’égard de l’Europe.

Quel est donc le rêve européen du candidat centriste?

une Europe qui élit au suffrage universel un Président de l’Union chargé d’incarner, « face aux intérêts nationaux », l’intérêt supérieur de la l’Union.
Voilà donc comment Monsieur Bayrou entend donc « mobiliser les énergies nationales ».
Ce Président coordonnera le Conseil (actuellement dirigé par le Président du Conseil, Monsieur Van Rompuy) et aura autorité sur la Commission (actuellement présidée par le Monsieur Barrosso).

Il faut savoir que le droit actuel de l’Union permettrait de réunir les fonctions de Président de la Commission et de Président du Conseil en une seule et même fonction.
Reste cependant que le mode d’élection de cette personnalité, au suffrage universel, supposerait une réforme des Traités européens devant être validée par l’ensemble des États membres.
Par sur que cette réforme suscite l’enthousiasme des autres États qui connaissent et privilégient davantage le régime parlementaire au régime présidentiel.

une zone euro qui agit comme une « zone de solidarité » en permettant à la Banque centrale européenne (BCE) » d’intervenir, directement ou par un organisme interposé, lorsque les États ont besoin de refinancer leur dette, avec des contreparties de remise en ordre de leurs finances ».

Il n’y pas de débat là-dessus: l’intervention directe de la BCE est proscrite par les Traités qui interdisent, via l’article 123-1 du TFUE, l’accord le prêts ou crédits aux institutions publiques européennes et nationales.
En revanche, l’intervention indirecte (via « organisme interposé ») peut être envisagée grâce à la dérogation accordée aux établissements publics de crédits par l’article 123-2 du TFUE. C’est d’ailleurs ce que proposait Monsieur Rocard dans une tribune au Monde le 2 janvier 2012.
Reste que mettre la BCE au service des politiques budgétaires des États membres, même de façon indirecte, contrevient à la garantie d’indépendance allouée à la BCE par le droit européen.
Article 130 du TFUE: la BCE ne peut « solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme« .

De la proposition de Monsieur Bayrou, seule la seconde partie trouverait donc à s’accomplir de façon certaine et sans délai: la  remise en ordre des finances publiques des États, qui passerait par un renforcement du contrôle budgétaire de l’Union européenne sur les États membres.
Le candidat propose à cet égard:
– une commission parlementaire de la zone euro composée de parlementaires nationaux et de députés européens, chargée vraisemblablement de contrôler les recommandations émises par la Commission européenne;
– la vérification des chiffres des comptes publics fournis par les États-membres par la Cour des comptes européenne;
– l’inscription de la « règle d’or » de discipline budgétaire dans la Constitution.

Les mesures pour la France

Je vous le disais : pour François Bayrou, les règles inscrites dans les Traités européens ne causent ni ne participent à la crise économique. La France doit seule se reprendre en mains.

« Mais la première condition est de comprendre avec lucidité que la crise ne vient pas d’ailleurs. Elle vient de chez nous, de mauvaises décisions accumulées au travers du temps, de facilités trop longtemps consenties, de démagogies multipliées. Ce n’est ni la faute de la mondialisation, ni la faute de la finance internationale, ni la faute de l’Europe, ni la faute de l’euro, si n’arrivons pas à apprendre à lire aux enfants, ou si nous avons perdu les secteurs de production que nos voisins ont conservés et développés. C’est notre responsabilité. »

A ce titre, Monsieur Bayrou propose notamment deux mesures, dont l’une est devenue LA proposition phare rattachée à sa candidature : il faut « acheter français » et favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics.

Il se trouve cependant que ces deux propositions se heurtent au grand principe qui fonde la construction européenne : le principe de libre concurrence, que le candidat se garde bien de remettre en cause.

Favoriser l’accès des PME aux marchés publics

A l’image du « Small business Act » américain, il s’agit d’établir des règles propres aux petites entreprises pour favoriser leur accès aux marchés publics.

Une telle mesure, visant à réserver une part des marchés publics aux PME, nécessiterait une réforme en profondeur des principes liant la commande publique dans l’Union européenne, car en tout point contraire au principe de libre concurrence.
Une récente réponse ministérielle est sans appel: « Il n’est pas possible, en l’état actuel du droit, de fixer des quotas de PME dans les procédures de marchés publics car une telle mesure serait contraire aux principes d’égalité de traitement des candidats et de liberté d’accès à la commande publique ». Tout est dit.

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Un label « produit en France »

Il faut « acheter français », c’est « une question de vie ou de mort« , déclarait le candidat le 8 décembre sur France 2.

François Bayrou propose de créer un label indépendant pour que les consommateurs puissent connaitre la provenance, ou la part française des produits qu’ils achètent. Il s’agit donc de « motiver » les consommateurs à acheter français.

Le principe de la libre circulation des marchandises conduit à prohiber toute réglementation nationale imposant le marquage obligatoire de l’origine d’un produit et toute campagne de promotion des produits français financée par l’État
(Rappelons que l’Irlande a été condamnée par la CJCE pour avoir financé une campagne publicitaire de promotion des produits irlandais: CJCE 24 nov. 1982, Commission c. Irlande).
Ainsi, la seule solution à disposition des pouvoirs publics nationaux est « le made in facultatif », c’est-à-dire inciter les entreprises à indiquer, de leur propre chef, la mention « made in France » sur leur produit.
Cette démarche a été pleinement accomplie par Nicolas Sarkozy durant son mandat. On ne voit guère comment les autres candidats pourraient proposer davantage, sauf à remettre en cause les obligations posées par l’Union européenne.

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Par ces deux propositions, sinon empêchées, largement encadrées et diminuées par le droit européen, les lecteurs pourront donc, là encore, faire le constat d’une Europe qui ne permet plus à l’État de mettre en œuvre des mesures favorables à la production.

Ce constat, que l’on peut faire pour toutes les propositions relatives à l’économie, à la finance, à l’agriculture, n’est malheureusement pas fait par Monsieur François Bayrou qui n’hésite pas à faire figurer dans son programme :
– la mise en place d’une taxe sur les transactions financières
– la régulation des marchés dérivés et de matières premières
– une agriculture rémunérée à son juste prix, vivant sans l’intervention extérieure des pouvoirs publics, alors que les règles encadrant l’agriculture sont fixées par la Politique Acricole Commune (PAC)
– une profonde réforme de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), alors que le porte parolat français en matière de politique commerciale est assurée par la délégation de l’Union européenne.
– construire une vraie politique étrangère européenne et bâtir une politique commune de défense, tout en promettant de « maintenir intacte la capacité de la Défense nationale ».

A cet égard, le programme de François Bayrou est représentatif du débat politique qui se tient dans les hémicycles parlementaires français: un semblant de souveraineté nationale maintenue, des institutions européennes exemptes de toute critique, des propositions sinon contraires aux Traités, conditionnées par une renégociation dont l’aboutissement est plus qu’incertain.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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