Malgré le non au référendum, la réforme constitutionnelle de 2005 n’a pas été abrogée

constitutionCette fin de semaine, j’étais à l’Université d’automne du M’PEP. J’y ai fait la connaissance de Roger, militant cheminot, qui a eu la bonne idée de se plonger dans le droit public français.
« Savez-vous que malgré le non des français au référendum de 2005, l’article 88-1 de la Constitution n’a pas été abrogé? ». J’avoue que je n’y ai pas cru. Comment une réforme constitutionnelle nécessaire à une ratification pourrait-elle survivre à une ratification avortée?

Et bien Roger avait raison et je découvre que le désordre constitutionnel français est encore plus sérieux que je ne le pensais.

Explications

Que ce soit le Traité de Maastricht, la Constitution européenne ou le Traité de Lisbonne, tous nécessitaient une réforme préalable de la Constitution pour pouvoir être ratifiés.
Ce que j’ignorais cependant, c’est que cette réforme s’effectuait en deux temps:
– la première, dite « provisoire », a pour objet de permettre de proposer à la ratification le fameux Traité,
– la seconde, dite « conditionnelle », entre en application à compter de l’entrée vigueur du Traité.

Ainsi, la fameuse révision constitutionnelle issue de la réunion du Congrès le 17 février 2005 prévoyait en son article 1er que la France « peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité établissant une Constitution pour l’Europe signée le 29 octobre 2004 ». Cette nouvelle rédaction est entrée en vigueur le 1er mars 2005.
L’article 3 de la loi constitutionnelle prévoyait quant à lui la nouvelle rédaction de l’article 88-1 de la Constitution à appliquer « à compter de l’entrée en vigueur du traité ».

Le hic voyez-vous, c’est que le traité n’est jamais entré en vigueur, les français ayant refusé sa ratification lors du référendum du 29 mai 2005.
Pourtant, la Constitution, elle, était bel et bien modifiée. Ainsi, les français ont eu droit à une Constitution faisant référence à un traité qu’ils avaient pourtant massivement rejeté.

N’est-ce pas formidable?

Ce n’est pas faute pourtant d’avoir vu défiler sur les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat des propositions de réforme constitutionnelle visant à abroger l’article 88-1 de la Constitution.

Le 1er mars 2005, les députés de droite Luca, Dupont-Aignan, Guillaume, Myard et Pemezec s’indignaient et s’inquiétaient d’un maintien laissant « croire que le peuple français pourrait revenir sur son vote ». En effet, le maintien de cet article laissait ouverte la possibilité de porter de nouveau à la ratification un traité comportant des dispositions identiques.
Le 7 décembre 2005, les députés de la gauche radicale et de la droite populaire demandaient ensemble la suppression de la référence à un texte sans existence juridique.
Quelques jours plus tard, le 20 décembre, les députés communistes renouvelaient l’appel: « Il importe que le vote majoritaire de nos concitoyens soit respecté et que soit retiré de notre Constitution cette référence à un texte sans existence juridique ».
De coté du Palais Luxembourg, les sénateurs communistes déposaient en février 2006 une demande analogue.
Enfin, le 31 janvier 2006, les sénateurs Michel, Khiari, Mélenchon et Bergé-Lavigne réclamaient l’abrogation d’un article dont le « maintien constituerait une agression contre la volonté librement exprimées du peuple français car il laisserait ouverte la possibilité de ratifier un texte contraire à la volonté populaire ».

Aucune de ces initiatives, portées à la connaissance des Commissions des lois constitutionnelles, n’a été suivie d’effets. Sans doute la fleme de réunir de nouveau le Congrès alors que le gouvernement travaillait déjà sur un nouveau texte européen.

Sans surprise, il fallut donc attendre la révision constitutionnelle du 4 février 2008 (nécessaire à la ratification du Traité de Lisbonne) pour que la référence au  traité établissant une Constitution pour l’Europe disparaisse de notre Constitution.

Une situation bancale qui amènent les constitutionnalistes à proposer des pistes de réformes

Dans un texte intitulé « Les révisions constitutionnelles induites par l’intégration européenne », Leatitia Guilloud met en avant « l’emergence du désordre normatif au sein de la Constitution ».

Plusieurs difficultés sont soulevées: l’introduction de dispositions précaires (provisoires et conditionnelles, comme nous l’avons vu plus haut) et de dispositions dérogatoires.
En effet, il faut ajouter au problème mis en lumière par la non ratification du Traité constitutionnel, l’inquiétante multiplication des dispositions contradictoires dans notre Constitution.

Toutes les réformes constitutionnelles visant à permettre la ratification et la mise en oeuvre des Traités européens se sont contentées de l’ajout d’une nouvelle disposition dans la Constitution au lieu d’identifier l’ensemble des dispositions existantes à modifier.
L’ajout permet en effet d’introduire « des réserves aux principes énoncés par la Constitution ».
Par exemple, l’article 88-2 issu de la révision du 25 juin 1992 permettait le transfert à la Banque centrale européenne du pouvoir monétaire alors que l’article 34 de la Constitution continue de prévoir que la loi fixe « le régime d’émission de la monnaie ».
Cette solution, dite de la « révision-adjonction » a été avalisée par le Conseil constitutionnel dans la décision du 2 septembre 1992.

Pour dépasser ces difficultés, l’auteure préconise l’introduction d’une clause générale d’acceptation des transferts de compétences. Les arguments avancés méritent d’être soulignés:
– les réformes constitutionnelles successives, loin de constituer des remparts face aux transferts de compétences, sont en réalité des passages obligés.
– l’inscription d’une clause générale serait accompagnée, sur le modèle de la loi fondamentale allemande, de limites s’imposant au pouvoir de révision (exemple: l’intégration européenne ne peut porter atteinte au pouvoir budgétaire du Parlement).
– le véritable rempart face aux transferts de compétence se déplacerait « au stade de la ratification » puisque, si la réforme constitutionnelle n’est plus systématiquement nécessaire, l’approbation du Traité par le Parlement ou le Peuple reste une étape obligatoire.
A ce titre, on pourrait imaginer que ce type de ratification se fasse, non plus à la simple majorité des voix, mais à la majorité absolue, ou des deux-tiers.

Selon l’auteure, cela permettrait de renforcer « indéniablement la cohérence de la Constitution ».

Une chose est sûre, les réformes constitutionnelles, de plus en plus nombreuses et bâclées, ne sont en plus en mesure d’assurer le respect des grands principes.

Européistes et souverainistes français devraient s’entendre sur un point: la nécessaire clarification de notre texte fondamental.

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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