Hiver 2014 : des nouvelles du marché transatlantique (revue de presse)

8th round TTIP
Conférence de presse suite au huitième cycle de négociations (6 février 2015, Bruxelles)

Du 2 au 6 février dernier, auprès plus de cinq mois de pause causée par le renouvellement des institutions européennes, les négociateurs transatlantiques ce sont de nouveau réunis.
Ce huitième cycle de négociations s’est tenu à Bruxelles et a abordé l’ensemble des domaines qui seront couverts par l’accord, hormis la protection des investissements qui, nous le verrons, suscite encore des débats.

Malgré cette pause officielle des négociations, le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis a néanmoins connu une actualité remplie ces derniers mois

ContreLaCour vous propose de faire le point sur les événements de ces deux dernières saisons.

La revue de presse de l’été 2014 est disponible en cliquant ici.

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Cet article est une synthèse des principales informations relayées sur ce journal.

Une transparence toujours insuffisante

Le 9 octobre 2014, le Conseil des ministres européen en charge du commerce international a autorisé la Commission européenne à publier le mandat de négociation.
Celui-ci, approuvé en juin 2013, avait depuis longtemps fuité sur internet. ContreLaCour en avait d’ailleurs effectué une traduction en français.
C’est donc une décision importante dans son principe, car c’est la première fois qu’une telle publication est réalisée depuis que l’Union européenne négocie des accords commerciaux. Elle fait suite à une demande déposée par le gouvernement français durant l’été 2013 et confirme le souhait des autorités européennes de calmer les critiques fondées sur le manque de transparence des négociations.

Notons cependant qu’une telle démarche n’a pas été initiée pour les autres négociations, moins « populaires », telles que celles menées avec le Canada, le Japon ou la Chine.

En tout état de cause, la transparence des documents de négociations transatlantiques restent très limitées.
Le 15 octobre, certains eurodéputés de gauche manifestaient au sein du Parlement européen pour réclamer un accès libre à la salle de lecture contenant les positions de l’UE et les textes consolidés. Pour l’instant cette lecture est réservée aux membres de la commission parlementaire en charge du commerce, aux Présidents de commissions et aux rapporteurs du TTIP.

Début novembre, dans le cadre de la consultation organisée par le médiateur européen, le groupe des Verts au Parlement européen a proposé de doter la commission du commerce international du droit de décider de la publication de certains documents de négociations confidentiels qui lui sont transmis.

En février, la Commission a mis en ligne sur son site internet toutes ses positions et propositions.

Malgré cette « transparence » sans précédent, la Commission européenne risque une enquête du Médiateur européen.

L’avancée des négociations

Le compte-rendu mis en ligne par la Commission européenne nous indique que des clarifications ont été réalisées au sujet de l’accès au marché, des tarifs industriels, de l’accès au marché agricole, du commerce des services et en matière de marchés publics.

Le pilier horizontale réglementaire constitué des entraves techniques au commerce (OTC), des questions de sécurité alimentaire et de santé animale et végétale a été un axe important de ce cycle de négociations. Si ce second domaine est proche de la consolidation, des divergences persistent en matière d’OTC.
L’UE a présenté ses propositions en matière de coopération réglementaire horizontale.

Des progrès notables ont été atteints sur le règlement des différends d’Etat à Etat, en matière de douanes, de facilitation du commerce et sur les problématiques relatives aux PME.
Sur les droits de propriété intellectuelle, les discussions continuent en vue d’affiner encore la liste des questions à inclure dans l’accord.

Concernant les services financiers, la France continue à plaider pour son inclusion dans l’accord. Cependant, il n’existe pas de consensus européen à ce sujet car les règles américaines sont à ce jour beaucoup plus strictes que celles européennes. De même, les américains continuent de penser que cette question peut être traitée dans le cadre des enceintes existantes (G20, Conseil de Stabilité Financière, Banque des Règlements Internationaux).

Comme lors des cycles précédents, les négociateurs en chef et leurs équipes de négociation respectives, ont passé une journée avec de plus de 400 sociétés représentant des entreprises et des industriels, des associations professionnelles, des associations de consommateurs, des groupes environnementaux et des syndicats professionnels.

Les prochains cycles de négociations sont prévus pour la semaine du 20 avril à Washington et en juillet à Bruxelles. Deux autres devraient suivre d’ici la fin de l’année.

La question sensible de la coopération réglementaire

A côté des tribunaux d’arbitrage, la coopération réglementaire est un des points les plus controversé de l’accord. Il s’agit de mettre en place un système de coopération entre les deux continents afin d’assurer, suite à la conclusion de l’accord, la compatibilité croissante des règles existantes dans chacune des Parties. Elle permettra également d’examiner les prochaines réglementations à la lumière des contraintes instituées par l’accord.
Le TTIP serait ainsi un « accord vivant », permettant de fixer les règles après sa signature.

Beaucoup craignent que cette coopération entraîne une « harmonisation par le bas ».

De son côté, la Commission européenne que les dispositions « ne limiteront pas le droit de chaque partie de maintenir, adopter et appliquer des mesures pour atteindre les objectifs légitimes de politique publique, tels que la protection de l’environnement, des consommateurs, des conditions de travail, de la vie humaine, animale et végétale, de la santé et la sécurité, etc. ».

Quelles sont les propositions de la Commission ?

Les documents mis en ligne le 10 février dernier permettent d’en savoir un peu plus sur le mécanisme de coopération souhaité par la Commission :
– il s’agit de mettre en place un mécanisme bilatéral de coopération entre les organismes de réglementation et les autorités compétentes au niveau central,
– chaque Partie désignera un bureau de son administration centrale agissant comme un point de rassemblement et de présentation des actes réglementaires existants ou en préparation,
les échanges pourront avoir lieu à n’importe quel stade de préparation des textes et pourront continuer jusqu’à la l’adoption de l’acte réglementaire,
aucune disposition ne contraindra une partie à suspendre sa procédure d’adoption.

Afin d’assurer ces missions, la Commission propose la mise en place d’un organisme de coopération règlementaire, dit « RCB ». Il serait coprésidé par les hauts représentants au commerce international des deux parties.
Le RCB pourra créer des groupes de travail sectoriels et leur déléguer l’accomplissement des missions de coopération.
En matière financière, la tâche serait confiée au forum conjoint sur la réglementation financière (FRF) et aucune décision ne serait prise sans son aval.
Le RCB tiendra, au moins une fois par an, une réunion ouverte à la participation de la société civile afin d’échanger sur le programme de coopération.

La proposition de la Commission comprend également un article prévoyant la mise en place d’une coopération non centralisée. Cette proposition n’est apparemment pas soutenue par les Etats membres.

Enfin, la coopération réglementaire comprendra également un volet impliquant la promotion commune de réglementation dans les instances internationales tierces (l’OMC par exemple).

Les tribunaux d’arbitrage dans la balance

La question de l’inclusion des dispositions ISDS dans le traité transatlantique est un véritable feuilleton.
En octobre, alors que la nouvelle Commission Juncker prenait ses fonctions, différentes sources indiquaient que le Président de la Commission aurait tranché en faveur du retrait des dispositions controversées.
Selon Euractiv, un document interne de la DG Commerce adressée au commissaire européen au commerce, Cecilia Malmström, révélait des plans supprimant ledit passage du mandat de négociation.
De même, le site internet des Verts européens rapportait que Juncker considérait que la bataille de l’ISDS ne pouvait être gagnée.

Problème : les mêmes dispositions sont incluses dans le projet d’accord EU-Canada finalisé en septembre dernier.

Sur son blog, Maxime Vaudano explique que seule l’Allemagne se serait battue, sans succès, pour le retrait du dispositif ISDS de l’accord UE-Canada : « Dans la dernière ligne droite, Berlin s’est donc retrouvé seul pour contester l’ISDS. En face, 14 Etats européens – Royaume-Uni, Espagne et Scandinaves en tête – ont écrit à la Commission européenne pour la sommer de défendre l’arbitrage privé. »

La France, quant à elle, serait restée silencieuse alors qu’un axe franco-allemand, aidé par le scepticisme de la nouvelle Commission, aurait pu changer la donne.

Cette opposition aurait également pu trouver à s’appuyer largement sur la consultation publique initiée par la Commission européenne et dont les résultats ont été publiés en début d’année.
« La consultation montre clairement l’existence d’un énorme scepticisme » par rapport au mécanisme de protection des investissements (ISDS), reconnaissait dans un communiqué la commissaire au Commerce, Cecilia Malmström, le 13 janvier.
En effet, sur les 150 000 réponses à ce questionnaire, « la grande majorité, soit 97%, communiquée via des plateformes en ligne ou des groupes d’intérêts, contenaient des réponses négatives prédéfinies » concernant l’ISDS.

Malgré tout, il semble que la volonté des Etats-Unis de maintenir la protection des investissements pèse très lourd dans la balance.

En fin de mandat, Karel De Gucht avait prévenu : sans une ferme volonté des européens d’inclure l’ISDS, les Etats-Unis pourraient se retirer des pourparlers.

La dernière position de la Commission européenne serait donc de négocier un « ISDS nouvelle génération acceptable pour l’opinion publique et la classe politique européenne« .

Maxime Vaudano nous apprend notamment que les pistes à l’étude seraient notamment les suivantes :
– créer un mécanisme d’appel, pour limiter les risques de décisions fantaisistes des arbitres,
– pénaliser financièrement les entreprises qui multiplient les plaintes « frivoles »,
– obliger les investisseurs à épuiser tous les recours dans les juridictions nationales avant de passer à l’arbitrage international,
– etc.

Selon Euractiv, un axe franco-allemand serait d’ores et déjà à l’œuvre pour avancer sur des propositions communes. Le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède partageraient les positions des deux Etats.

On ne sait pas, en revanche, si cet « ISDS amélioré » sera intégré dans le projet d’accord conclu avec le Canada.

Le texte définitif devra être convaincant, car les parlementaires européens et nationaux font de plus en plus part de leur opposition aux tribunaux d’arbitrage.

Le site Contexte nous rapporte que 27 novembre 2014, la majorité des députés néerlandais ont approuvé une résolution appelant le gouvernement à s’opposer à l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs. Les membres du parti conservateur du Premier ministre Mark Rutte ne l’ont toutefois pas soutenue.
De même, au cours de sa séance du mardi 3 février 2015, le Sénat français a adopté à l’unanimité la proposition de résolution européenne, présentée notamment par le sénateur Michel Billout (CRC). Elle demande au gouvernement le retrait du dispositif actuel et le recours à un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d’investissements, inspiré de l’Organisation mondiale du commerce.

Une position qui rejoint celles des eurodéputés socialistes. Réunis à Madrid, une quarantaine de responsables du Parti socialiste européen se sont entendus sur le retrait des tribunaux d’arbitrage ou, à défaut, sur la mise en place d’une cour permanente d’arbitrage en lieu et place du dispositif actuel.

Cette proposition pourrait peser lourd dans les débats actuellement menés au sein de la Commission commerce international du Parlement européen. Une résolution devrait être adoptée en main prochain.

Au lieu de défendre la position des eurodéputés socialistes, une récente note du Secrétariat général des Affaires européennes (SGAE) du gouvernement français a invité les eurodéputés français à ne pas suivre la position de rejet du mécanisme actuel :
« Même si la France estime que l’inclusion d’un mécanisme d’arbitrage investisseur-Etat (RDIE/ISDS) n’est pas nécessaire avec les Etats-Unis, le projet de résolution tranche de manière un peu trop catégorique cette question. Une approche plus prudente sur ce sujet délicat pourrait être préférable en raison des risques de précédent, avec des États dont les standards juridictionnels ne correspondent pas à ceux qui prévalent aux Etats-Unis. »

Un nouveau cafouillage qui brouille un peu plus une position française difficile à décrypter.

En réalité, le SGAE craint qu’un retrait de l’ISDS du Traité transatlantique rende difficile son inclusion dans l’accord d’investissement actuellement négocié avec la Chine. Or, contrairement aux Etats-Unis, où le seul recours aux juridictions nationales ne pose pas de problème, la Chine n’offre pas les mêmes garanties judiciaires.

Un calendrier serré

« Le monde n’attendra pas l’Europe » : c’est ce qu’a déclaré la chancelière allemande lors d’un débat au Bundestag le 27 novembre dernier. Le site Contexte nous rapporte ainsi qu’Angela Merkel a affirmé qu’il était nécessaire de négocier l’accord de libre-échange “rapidement”, pour ne pas désavantager l’Europe par rapport à d’autres régions du monde.

Quelques jours plus tôt, lors d’une conférence en Australie, elle exhortait les Etats européens accélérer leurs négociations avec les États-Unis.

De même, le Premier ministre britannique Cameron a promis, lors du G20, d’accélérer les négociations.

Il faut dire que les européens ont en tête un calendrier serré : l’objectif est de parvenir à un texte définitif avant fin 2015, début 2016, c’est-à-dire avant l’échéance présidentielle américaine.

Carlo Calenda, vice-ministre du commerce de l’Italie, déclarait en octobre qu’une fenêtre serait ouverte entre les élections de mi-mandat aux États-Unis en novembre et le début 2016. Après cela, la campagne pour l’élection présidentielle américaine commencerait : « Nous n’avons que quelques mois pour sortir de l’impasse » (Reuters).

Ainsi, lors du Conseil des ministres européens en charge du commerce international du 21 novembre 2014, les Etats ont réaffirmé leur soutien à la conclusion rapide de l’accord.

De même, les chefs d’Etat, lors du Conseil du 18 décembre ont clairement appelé l’UE et les États-Unis à « faire tous les efforts nécessaires pour conclure, d’ici la fin de 2015, les négociations« .

Les parlementaires nationaux de plus en plus impliqués

Lors de sa venue à Paris, Cecilia Malmström a confirmé que l’accord transatlantique serait très certainement un accord mixte qui nécessitera, par conséquent, la ratification du Conseil, du Parlement européen mais également de tous les parlements nationaux.

Le 4 février dernier, le Sénat français ont enfin décidé de prendre le sujet au sérieux. La commission des Affaires économiques et celle des Affaires européennes du Sénat ont créé un groupe de suivi des négociations sur le TTIP. Présidé par Jean-Claude Lenoir et Jean Bizet, le groupe travaille en lien avec le comité stratégique de suivi mis en place par le gouvernement.
Son travail portera principalement sur quatre sujets : la convergence réglementaire, l’accès aux marchés publics, la défense des préférences collectives européennes (normes sanitaires et phytosanitaires notamment) et la propriété intellectuelle, en particulier les indications géographiques.

Enfin, il faut noter que le traité transatlantique s’est invité à l’Assemblée nationale, lors de l’examen en séance publique du projet de loi Macron.

Les parlementaires commencent en effet à s’interroger sur les conséquences d’un tel traité sur la réglementation française. En effet, le député UMP Jean-Frédéric Poisson s’est inquiété de la possible remise en cause des nouvelles dispositions relatives à l’entrée des capitaux étrangers dans les sociétés d’exercice libéral, nouvellement créées.
Aussi, Thierry Mariani a critiqué les conditions dans lesquelles est actuellement négocié ce traité : « Sur ce texte fondamental, les députés français sont totalement dépouillés. »

Pour aller plus loin

Il faut évidemment noter le lancement en novembre 2014 du blog du journaliste Maxime Vaudano (Le Monde) « La bataille transatlantique » et la publication de son livre « Docteur TTIP et Mister TAFTA » .

[box]Merci d’avance à tous ceux qui publient/relaient mes articles. Merci cependant de sélectionner un extrait et de mettre le lien vers l’article original! Magali[/box]


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